Suite du cours Devarim / 9 Av 5772 - I
1. Jusque où doit aller la foi en D. ?
La génération du désert a fauté le 9 av par ce qu’elle n’était pas confiante dans sa destinée heureuse. Elle pensait qu’elle était destinée à souffrir si elle partait en guerre. Ces juifs ont manqué de confiance en leur avenir.
Cette affirmation du Maharsha dans le traité de Taanith, peut paraitre surprenante si on la compare à un autre commentaire de ce rav sur le traité de Guitin (55b.)
Dans ce passage, le talmud cherche à expliquer les causes de la destruction du temple et du massacre des juifs par les romains.
« Rabbi Yohanan dit : « quel est le sens du verset « heureux est l’homme qui a toujours peur, et celui qui affermit son cœur tombe dans le malheur » (ecclésiaste 28) ?» « C’est à cause de Kamtsah et bar Kamtsah que Jérusalem a été détruite, et à cause d’un coq et d’une poule que la population du Mont Royal a été exterminée, et c’est à cause d’une portière de carrosse que la ville de Betar a été détruite.»
Pour rabbi Yohanan, Les juifs ont provoqué la colère des romains pour des raisons idiotes. (J’ai déjà relaté ailleurs l’histoire de Kamtsah et bar Kamtsah, je vais donc me borner à raconter l’histoire de la poule et de la portière.) La région du Mont Royal était la partie la plus peuplée de la terre d’Israël. Lorsqu’un homme et une femme se mariaient on leur offrait une poule et un coq, comme pour leur souhaiter de se multiplier comme les poules. Une fois, une garnison romaine a réquisitionné les oiseaux destinés à un mariage. Lorsque les juifs ont vu cela, ils ont massacré la garnison, le gouverneur romain a cru a une révolte, finalement, toute la population de la région a été massacrée.
Dans la ville de Betar, lorsque des enfants naissaient, les habitants avaient l’habitude de planter un cèdre pour un garçon et un pin pour une fille et lorsqu’ils se mariaient ils coupaient les arbres pour en faire une houppa. Un jour, la fille du gouverneur passait en carrosse et la portière de son carrosse s’est cassée, les soldats romains ont coupe un cèdre pour réparer la portière. Lorsque les juifs ont vu cela ils ont attaqué l’escorte et ils l’ont massacré. En représailles le gouverneur a rasé la ville en massacrant toute la population.
En citant le verset de l’Ecclésiaste « heureux est l’homme qui a toujours peur, et celui qui affermit son cœur tombe dans le malheur », rabbi Yohanan explique que les juifs ont manqué de peur, ils ont été confiant dans leur futur, c’est pour cette raison qu’ils ont commis des actes dangereux et inconsidérés.
Les hébreux habitaient la terre d’Israël depuis presque 1000 ans, ils n’arrivaient pas à concevoir qu’un jour ils puissent être chassés du pays. Le Maharsha remarque que le massacre du Mont Royal a eu lieu plusieurs dizaines d’années après la destruction du temple, et que le massacre de Betar a lui aussi eu lieux plusieurs années après celui du Mont Royal.
Après la destruction du temple, les juifs auraient du prendre conscience que leur futur n’était pas assuré, ils auraient du comprendre qu’ils devaient garder un profil bas face au gouvernement romain, malgré tout, ils ont continué à être confiants et ils ont provoqué la colère des romains. Le talmud raconte que le massacre du Mont Royal a duré plus de trois jours et trois nuits, pendant qu’une partie de la ville se faisait massacrer, l’autre partie faisait la fête, tant les habitants étaient certains de leur victoire finale contre les romains. Le talmud dit aussi que les habitants du Mont Royal était des saints, « mais qu’ils sont morts par ce qu’ils n’ont pas fait le deuil de Jérusalem ». Le Maharsha explique que « faire le deuil de Jérusalem » c’est tirer la leçon de l’histoire de la destruction du temple, c’est comprendre que la présence des juifs en Israël n’est pas assurée.
De même, après le massacre du Mont Royal, les juifs auraient du comprendre qu’il était imprudent de se révolter contre les romains sans raison, et malgré tout ils se sont révoltés, ils étaient certains que bar Korba était le messie. Les juifs étaient confiants dans leur triomphe, ils n’ont pas suivi le conseil du roi Salomon dans l’ecclésiaste « heureux est l’homme qui a toujours peur ».
Ce commentaire du Maharsha semble contredire son explication de la faute de la génération du désert, puisque il reproche à la génération du désert d’avoir manqué de confiance en leur futur, alors qu’ici il reproche aux juifs d’avoir été trop confiant dans leur futur.
On peut poser cette contradiction d’une manière un peu différente. En effet, Le Hafets Haïm explique que les juifs du désert ont eu peur de faire la guerre, par ce qu’ils ne pensaient pas avoir assez de mérites pour bénéficier de l’aide miraculeuse de D. Les juifs du désert pensaient que D les aideraient uniquement s’ils avaient suffisamment de mérites, c’était une erreur, parce que l’aide de D était inconditionnelle.
Or, dans son livre « Le triomphe d’Israël» (chapitre 5), le Maharal de Prague explique que le temple a été détruit par ce que les juifs pensaient que D allait les aider à battre les romains même si ils n’avaient pas de mérite. Les juifs de l’époque romaine pensaient que l’aide de D était inconditionnelle. Pourtant ces juifs ont été punis, eux aussi, par ce qu’ils ont été confiants en la providence, alors qu’ils auraient du avoir peur de leur manque de mérite.
En bref, on a l’impression qu’il y a deux leçons contradictoires à tirer du soir du neuf av, d’une part il semble que cela soit une faute de ne pas être confiant en son futur et qu’il faille compter sur l’aide inconditionnelle de D, (c’est ce que l’on apprend de la génération du désert) et d’autre part il apparait au contraire, qu’il ne faut pas être assuré d’un futur heureux ni de l’aide divine (la génération des romains).
2. La place de l’idéologie dans la religion.
Pour résoudre cette contradiction il est nécessaire de comprendre ce que représente la destruction du temple d’un point de vue idéologique.
Pour la Mehiltah, (-commentaire écrit sur la torah par les rabbins au 1er siècle- Mehiltah de Rabi Ishmael massehtah dechirah parasha 2). D ne peut pas détruire le pouvoir politique d’une nation, sans enlever d’abord le pouvoir de son D. «Avant de détruire l’Égypte sur terre, D a du détruire le dieu des égyptiens dans le ciel », dit la Mehiltah.
Évidement, pour la Mehiltah, le dieu des égyptiens n’existe pas. La Mehiltah signifie donc, que pour qu’un pouvoir politique s’effondre, il faut d’abord que l’idéologie du gouvernement s’effondre. (Si aujourd’hui l’islam conquiert l’Europe, c’est par ce que l’Europe n’a plus d’idéologie à lui opposer.) Comme le disait Foucault, toutes les idéologies sont l’expression d’un pouvoir, il ne peut pas y avoir de pouvoir sans idéologie, le pouvoir disparait quand son idéologie disparait.
Or, si il y a 2000 ans D a détruit l’indépendance politique d’Israël, cela veut dire que, d’une certaine manière, D a du détruire l’idéologie qui soutenait le pouvoir politique d’Israël. Lorsque D a détruit le temple de Jérusalem et l’état d’Israël il ya 2000 ans, il a du détruire « le dieu du temple de Jérusalem» ou « l’idéologie du D du temple de Jérusalem ».
Quel était « l’idéologie du D du temple » ? Quel est le dieu de l’état d’Israël qui a disparu il y a 2000 ans? Cette question nous amène à en poser une autre.
Foucault dit qu’il n’y a pas de gouvernement sans idéologie, et il n’y a pas d’idéologie sans pouvoir organisé. Mais peut-il y avoir une religion sans idéologie ? Et quel lien existe-t-il entre une religion donnée et une idéologie donnée ?
À mon avis, il ne peut pas y avoir de religion sans idéologie. Pour Neher, le judaïsme n’est pas une idéologie, c’est un mode de vie, mais, il n’empêche qu’il n’y a pas de mode de vie possible sans idéologie. Le judaïsme n’est pas une idéologie, mais il ne peut se pratiquer qu’à travers une idéologie.
Je vais illustrer cette idée à partir d’une anecdote.
Voila l’anecdote, c’est une question que l’on m’a demandée il y a plusieurs années. Une fois, une fille qui avait du mal à se marier m’a demandé mon avis sur ce qu’elle devrait faire pour trouver un mari, elle m’a proposé deux options « est ce que vous pensez que je devrais lire un livre de psaume tous les jours, ou bien, peut être qu’il serait plus efficace que je me fasse refaire la poitrine ? »
(Cette histoire est tout à fait authentique, la jeune fille est maintenant mariée avec des enfants, pour la petite histoire, elle avait finit par choisir les psaumes)
Dans un premier temps, ce que je n’arrivais pas comprendre dans cette question, c’était pourquoi, pour cette fille, les deux options étaient contradictoires ? Pourquoi la fille ne pourrait-elle pas lire des psaumes, tout en se faisant refaire la poitrine?
Après réfection, j’ai compris que la contradiction ne reposait pas entre le fait de lire les psaumes et celui de se faire refaire la poitrine, mais plutôt, sur les conséquences que ces deux actions pouvaient avoir sur la psyché de la jeune fille.
Si la jeune fille lit des psaumes tous les jours, sa lecture va influencer sa manière d’être et sa vision du monde, elle risque de devenir plus spirituelle et moins matérialiste. Par contre, si la jeune fille se fait refaire la poitrine, (si l’opération est un succès) c’est le contraire qui risque d’arriver. Le changement de son image physique et l’effet qu’il procure aux autres, risque de rendre la jeune fille beaucoup plus matérielle et beaucoup moins spirituel. En fait, le doute de la jeune fille était l’expression d’un doute sur l’orientation qu’elle devait donner à sa vie en générale.
Si on revient a la question elle-même, à savoir le choix entre les psaumes ou les prothèses mammaire, puisque choix il y a, il apparait nettement que l’on observe un dilemme entre deux types de rationalité. D’un coté on peut penser que la providence dirige le monde et que plus on a de mérite, plus D risque d’intervenir en notre faveur. De ce point de vue, les psaumes semblent être la solution. Par contre, on peut penser que l’homme doit agir suivant sa raison, puisque D a donné le libre arbitre à l’homme c’est à lui d’agir pour assurer son salut dans ce monde, dans cet optique ce sont les prothèses qui sont la solution.
Même lorsque que l’on pense planifier nos succès par des actions réfléchies, nous savons qu’il y a une part de hasard dans la réussite ou l’échec de ce que nous entreprenons. Et le croyant ne peut pas concevoir que le hasard est absurde. Il y a une part de notre vie qui échappe à notre contrôle de manière irréductible. Pour reprendre notre exemple, une poitrine bien refaite ne peut pas garantir un mariage réussit d’une manière certaine, le hasard et la chance continuent de jouer un rôle prépondérant dans l’obtention d’un conjoint. La contingence est une nécessité. Il y a donc toujours un dilemme chez l’homme entre la volonté de s’en remettre aux forces surnaturelles, et sa volonté de planifier de manière raisonnée. C’est ce dilemme que la jeune fille voulait exprimer dans sa question.
Ce que l’on doit retenir de cette histoire, c’est que tous les choix moraux sont toujours insolubles par ce qu’ils supposent deux inconnus.
Premièrement, nous ne savons pas quel est l’impacte de nos choix et de nos succès sur notre psyché, nous ne pouvons pas savoir jusqu'à quelle mesure nos actions vont nous transformer, et à quel point nous pouvons supporter les effets de cette transformation. La jeune fille se demande si elle sera toujours le même si elle se fait refaire la poitrine, et le trader se demande si il sera toujours le même si il gagne un milliard de dollar. L’impacte psychologique que nos actions ont sur nous est toujours inconnu et effrayant.
Au fond, le trader ne sait pas si c’est une bonne chose pour lui de gagner un milliard de dollar, tout comme la jeune fille ne sait pas si cela « vaut le coup » pour elle de se refaire la poitrine, par ce qu’ils ne peuvent pas mesurer à l’avance l’impacte psychologique des résultats de leurs actions. C’est la peur de cet inconnu qui nous rend inefficace et qui nous pousse vers l’échec et l’inaction.
Le deuxième doute, c’est l’impacte du « hasard » ou du surnaturel sur nos actions. Nous ne savons pas à quel point le hasard et la contingence vont influencer nos actions. Donc, le croyant, pour lequel le hasard n’est pas absurde, doit toujours faire face à un dilemme entre l’appel à la rationalité ou à l’irrationnel lorsqu’il doit agir. Dois-je donner un million à la tsedakah ou dois-je l’investir dans mon compte, si je veux gagner plus d’argent ? se demande le trader. Dois-je me refaire la poitrine ou dire des psaumes ? lui répond la jeune fille. Quelle place doit-on donner à la providence dans le calcul de ses choix ? Quelle place doit-on donner à la rationalité ?
Quelque soit la solution que le croyant va choisir devant ces dilemmes, elle sera toujours l’expression d’un choix idéologique. Agir suivant la raison, comme si le hasard n’existait pas, c’est choisir une idéologie. Préférer, au contraire, faire appel à la providence, c’est l’expression d’une autre idéologie. Aucune des deux options n’est absolument bonne ou mauvaise, juive ou non juive, se sont des paris personnels que l’on fait.
Se fermer les portes du succès par peur de l’impacte qu’il peut avoir sur nous, c’est l’expression d’une idéologie, au contraire avoir confiance en soi s’ouvrir au monde de l’action, c’est encore l’expression d’une autre idéologie. La religion n’est pas une idéologie, mais elle ne peut être pratiquée que si elle est interprétée par une idéologie dont on ne peut pas démontrer la justesse ou la véracité.
Avant la destruction du temple, les juifs pensaient que l’accomplissement de la torah n’était possible que si le temple existait et si les juifs habitaient en Israël. C’était une évidence indiscutable et inébranlable. A cette époque, il était inconcevable que le temple soit détruit et que le peuple soit chassé et massacré. De ce fait les juifs ont continué à s’obstiner dans des révoltes stupides meurtrières contre les romains.
Il faut retenir du neuf av que quelque soit le choix idéologique que l’on fasse, lorsque l’on veut pratiquer la religion, on ne peut pas absolument affirmer qu’il est l’expression infaillible de la parole de D. « Heureux est l’homme qui a toujours peur », cela veut dire heureux est l’homme qui comprend que ses choix idéologiques ne sont pas de manière évidente l’expression de la volonté de D.
Lorsqu’un homme choisit de donner un million de dollar à la tsedakah pour s’enrichir, il doit comprendre qu’il fait un pari avec D. Peut être que D aurait voulu qu’il investisse ce million a la bourse, peut être que non.
Tous les choix idéologique sont des chemins que l’on choisit pour servir D. Mais on ne peut pas savoir si ces choix sont l’expression de la volonté de D, on reste dans le doute et la peur de se tromper.
Après la destruction du temple, le rapport à la morale ne peut plus être un rapport de certitude, il ne peut être qu’un rapport de crainte et de doute. Faire le deuil de Jérusalem c’est prendre acte de cette situation, et c’est en prenant acte de cette situation que l’on peut faire disparaitre la haine gratuite entre les juifs.
Les juifs dans le désert n’étaient pas assez religieux, ils ont manqué de confiance en D, pour aller en Israël, alors que les juifs de l’époque romaine étaient trop religieux, ils avaient trop confiance en D pour adopter une conduite intelligente. Rabbi Yohanan explique que la faute de ces deux générations n’était pas dans leurs opinions, mais plutôt la certitude qu’ils avaient d’avoir raison. Les deux générations ont manqué de doute, ils ne se sont jamais dit « peut être qu’on se trompe ».
Ces deux générations cohabitent à l’époque contemporaine dans le monde religieux, il est important qu’elles comprennent que leur choix ne sont que des paris, et qu’aucun des deux partis ne peut affirmer avec certitude que l’autre à tort.
Pour la torah, l’intention que l’on a lorsque l’on fait un choix est plus importante que le choix lui-même, si l’homme choisit un chemin en toute honnêteté pour servir D, il peut être sure que D va agréer son choix.
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