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Writer's pictureRav Uriel Aviges

Chemini 5771


1- Le « hok » (la loi sans raison logique) a un sens a fortiori.

La parasha de « chemini » parle des lois de la cacherout et de la pureté et de l’impureté. Ces lois sont des « hukim», c'est-à-dire qu’elles n’ont pas d’explication rationnelle.

Il est difficile dans la société moderne d’accepter et d’observer de manière intransigeante des lois précises qui sont illogiques. Pourtant, ces lois de la thora sont très importantes, la torah punie même de la peine de mort celui qui transgresse certaines d’entre elles. Comment comprendre l’importance que la torah donne aux lois qui n’ont pas de sens ?

La torah nous donne un indice qui va nous permettre de comprendre le sens général des « hukim ».

En effet, dans la parasha la torah juxtapose les lois des sacrifices aux lois de la cacherout, mais elle intercale entre les deux sujets, les lois concernant l’alcool. La torah dit que si un Cohen rentre dans le temple en ayant bu de vin au préalable il est passible de peine de mort. Ensuite la torah dit que si un rav enseigne les « hukim » de la torah en ayant bu du vin il est passible du fouet.

La torah dit : « L'Éternel parla ainsi à Aaron: 9 "Tu ne boiras ni vin ni liqueur forte, toi non plus que tes fils, quand vous aurez à entrer dans la Tente d'assignation, afin que vous ne mouriez pas: règle perpétuelle pour vos générations; 10 et afin de pouvoir distinguer entre le sacré et le profane, entre l'impur et ce qui est pur, 11 et instruire les enfants d'Israël dans toutes les lois que l'Éternel leur a fait transmettre par Moïse. »

Rashi commente : « et pour enseigner Cela nous apprend que celui qui est en état d’ébriété n’a pas le droit d’enseigner. J’aurais pu penser qu’il fût passible de la peine de mort. Aussi est-il écrit : « et toi et tes fils avec toi, vous porterez le crime de votre pontificat […] et ils ne mourront pas » (Bamidbar 18, 1 et 3). Seuls les kohanim accomplissant leur service peuvent être passibles de la peine de mort [pour état d’ébriété], et non les Sages en transmettant leur enseignement. »

Il est intéressant que cet interdit de boire de l’alcool avant d’enseigner la torah soit limité au « hukim » aux lois irrationnelles.

Un rav n’a pas le droit d’enseigner les lois du chabath ou de la cacherout s’il a bu du vin (86 centilitre). Par contre ce même rav a le droit de siéger dans un tribunal rabbinique pour juger de la vie ou de la mort d’un homme, ou pour juger un litige monétaire.

Comment comprendre cette différenciation entre les lois rationnelles et les lois irrationnelles ?

Le Maharal de Prague souligne que le jugement d’un litige monétaire nécessite une justesse intellectuelle plus grande que l’explication des lois de la cacherout ou du chabath, car, dans ces « hukim », si on a un doute on peut toujours interdire, alors, que dans le cas d’un litige monétaire le rav doit être exacte et précis dans le jugement. Alors, pourquoi la torah a interdit l’alcool chez un rav qui doit prendre une décision halachique concernant le « hok » et pas chez le rav qui doit juger le droit commun ?

Par cette loi introductive à tous les « hukim », la torah nous dévoile l’essence des « hukim ».

Les « hukim » ne peuvent se comprendre que par l’expérience, c’est uniquement après avoir fait l’expérience des hukim que l’on peut leur trouver un sens. Par exemple, beaucoup de gens s’opposent à observer chabath en suivant la rigueur de la halacha, par ce qu’ils pensent que c’est un ramassis d’interdits absurdes. Pourtant, lorsqu’un homme observe chabath pendant un certain temps, il trouve après coup un sens au chabath. Ce sens évolue avec l’expérience et le vécu.

Il en va de même avec la cacherout, si un homme mange cacher il va trouver un sens à cette mitsvah en la vivant, mais pour celui qui ne mange pas cacher, la cacherout c’est une contrainte qui n’a pas de sens.

Le verset des Psaumes dit « goutez et vous comprendrez ». On ne peut comprendre le « hok » qu’après l’avoir gouté et après l’avoir expérimenté.

Ainsi, la torah interdit l’alcool lorsque l’on étudie les hukim, car il faut interpréter les hukim en abordant l’expérience du hok avec le plus de virginité possible. Pour comprendre le hok il faut que l’expérience du hok soit un bouleversement abrupt qui survient dans toute sa nudité.

2- L’irrationnel est le moteur de la psyché humaine il est donc normal qu’il soit géré par un code normatif.

L’importance donnée au « hok » dans la torah s’explique par le fait que l’irrationnel est plus structurant que le rationnel dans le développement de l’homme.

L’homme pense être guidé par la raison, pourtant dans la plus part des cas, ce qui motive l’homme à l’action et au changement ce n’est pas la raison, c’est l’irrationnel.

Prenons l’exemple des publicités. Lorsqu’un publiciste essaie de vendre une voiture, il ne le fait pas en donnant des raisons logiques, il essaie de faire de sa voiture une expérience magique qui survient soudainement dans le monde de la raison.

Les publicistes essaient de créer un « hok » pour vendre leurs marchandises. Les hommes politiques, eux aussi, cherchent à se vendre en se posant comme des « phénomènes », des images idéales qui surviennent dans la réalité.

L’homme politique a intérêt à se présenter de cette manière par ce que l’homme est plus facilement manipulable par l’irrationnel que par la raison. Pour transformer quelqu’un il faut lui proposer une image irrationnelle.

Tout le travail des medias consiste à rendre irrationnel ce qui est rationnel. « Fukushima », « le prince Charles », « le front national », deviennent par les medias des images abstraites aussi nébuleuses que des concepts de Kabala.

En faisant cela, les medias ne cherchent pas à manipuler l’information, ils cherchent à manipuler les masses.

On constate encore l’importance de l’irrationnel chez l’homme dans les comportements addictifs. Les addictions sont toujours liées à des « hukim » des désirs irrationnel qui n’existent qu’a fortiori.

Les désirs de l’alcool du tabac ou de la drogue sont addictifs par ce que ce ne sont pas des désirs innés à l’homme. Ces désirs ne surviennent que par l’expérience. Ces désirs sont par essence irrationnels. Ces désirs ne prennent un sens que par l’expérience comme les « hukim ».

La société moderne a bien compris l’importance des « hukim », de ces désirs qui naissent de l’expérience. En effet, la société de consommation cherche à faire de tous les désirs humains, des expériences irrationnelles qui conditionnent la psyché.

C’est pour cela que la société de consommation aliène l’homme en l’obligeant à répéter des expériences addictives. La société moderne cherche à faire de l’homme un objet en le droguant aux habits, aux voitures, aux vacances etc. pour cela elle s’efforce de manipuler la partie irrationnelle de la psyché.

(Ce n’est pas la reproductibilité de l’œuvre d’art qui la rend absurde, c’est la manière dont elle est présentée. Ce n’est pas l’ « aura » magique qui peut rendre à l’œuvre d’art sa valeur, bien au contraire, c’est le discours rationnel.)

Dans le domaine religieux on constate aussi que les « hukim » sont addictifs et que l’homme peut sombrer dans la surenchère du détail absurde de la halacha. On voit souvent des religieux donner une importance démesurée à des « hukim», mais on voit rarement des religieux sombrer dans la surenchère des détailles dans les lois logiques.

Tout ceci, montre que l’irrationnel structure l’homme, bien plus que le rationnel. C’est pour cela que la torah donne une grande importance aux lois irrationnelles.

Le grand rabbin Sacks remarque une contradiction apparente dans la torah. En effet Moshe a cassé les tables de la loi de son propre chef, c’est lui qui a pris cette décision, sans être commandé par D et Moshe a été récompensé pour cette décision.

Les derniers versets de la torah disent « Mais il n'a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moïse, avec qui le Seigneur avait communiqué face à face, 11 eu égard à tant de signes et de prodiges que le Seigneur lui donna mission d'opérer en Egypte, sur Pharaon, ses serviteurs et son pays entier; 12 ainsi qu'à cette main puissante, et à toutes ces imposantes merveilles, que Moïse accomplit aux yeux de tout Israël. »

Et Rashi commente : « Aux yeux de tout Israël Son cœur l’a poussé à briser les tables sous leurs yeux, comme il est écrit : « … Je les ai brisées à vos yeux » (supra 9, 17). Le Saint béni soit-Il a acquiescé, comme il est écrit : « … les premières tables que tu as brisées (achèr chibarta) » (Chemoth 34, 1) – que tu as bien fait (yeyachèr korkha) de briser (Chabath 87b). »

Parallèlement, les enfants d’Aaron, Nadav et Avihou ont apporté un feu sur l’autel de manière spontanée, sans être commandé par D, et ils ont été punis de mort pour avoir pris une initiative dans le service du temple.

Comme le dit la torah « Les fils d'Aaron, Nadav et Avihou, prenant chacun leur encensoir, y mirent du feu, sur lequel ils jetèrent de l'encens, et apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu'il le leur eût commandé. 2 Et un feu s'élança de devant le Seigneur et les dévora, et ils moururent devant le Seigneur. »

Le rabbin Sacks se demande pourquoi Moshe est récompensé de son acte spontané, alors que Nadav et Avihou sont punis pour avoir pris une initiative.

Je pense, que la différence fondamentale entre les deux cas, tient au fait que Moshe a pris une initiative dans le domaine de la loi rationnelle, alors que les enfants d’Aaron ont voulu innover dans une loi irrationnelle dans un « hok ».

La torah permet à l’homme d’extrapoler les lois de la torah uniquement lorsque ce sont des lois logiques. Mais la torah interdit à l’homme d’inventer dans les lois irrationnelles, comme par exemple dans le service du temple. Le « hok » doit être une expérience que l’on accepte et que l’on interprète après coup, mais pas quelque chose que l’on peut créer ou définir.

3- Le fait que le hok soit immuable permet à l’homme de gérer son rapport à l’irrationnel.

C’est une nécessité vitale pour les hommes politiques ou pour les medias de manipuler les autres, car ces manipulateurs sont incapables de justifier leurs discours et leurs actions à leurs propres yeux. Les manipulateurs ne peuvent se convaincre d’avoir raison que lorsqu’ils voient les autres les suivre. Or, nous l’avons dit plus haut, manipuler c’est créer du « hok » c'est-à-dire de l’irrationnel.

Lorsque la torah interdit de créer du « hok », en donnant au « hok » des limites révélées et immuables, la torah empêche donc la manipulation démagogique. La torah oblige le dirigeant à se justifier par un discours auquel il croit, et elle oblige le dirigé à comprendre ce discours.

La limitation du hok par D, donne accès à l’homme à la plus grande rationalité possible dans les rapports humains.

De plus, par la dualité du « hok » et du « mishpat » (la loi rationnelle), la religion permet l’articulation du rationnel et de l’irrationnel. Pour la torah, l’histoire a un sens, l’homme a un but rationnel. Les « hukim » doivent s’articuler avec ce discours de la « raison ». Dans la torah il y a une unité entre le rationnel et l’irrationnel. Les deux registres sont distincts, mais ils émanent de la même source divine. Les sages cherchent à donner le plus de sens possible aux hukim.

La société moderne nie la possibilité d’un rapport entre la raison et l’irrationnel. Dans la société moderne la raison ne peut exister qu’en s’opposant à l’irrationnel.

La science ne peut pas s’articuler à l’art, le sérieux du travail ne peut pas s’articuler sur le rêve. La société moderne est bipolaire.

Cette coupure entre le rationnel d’une part et l’irrationnel de l’autre part, favorise les comportements addictifs et les névroses. Si le rêve ne peut être qu’une fuite du réel, le retour vers le réel est invivable. Par les « hukim », la torah permet à l’homme d’articuler le rêve sur le réel, le sens raisonné et l’immédiateté de l’expérience dans une seule et même réalité.

Les « hukim » sont nécessaires à l’homme par ce que l’irrationnel reste le moteur essentiel de la psyché humaine.

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