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  • Writer's pictureRav Uriel Aviges

Chavouot 5771

La conversion et le don de la torah


1- Questions introductives

Le talmud (le traité de Critout 9a) associe la réception de la torah par les juifs sur le mont Sinaï à une conversion. Le talmud dit que l’on apprend les lois de la conversion du déroulement de la préparation des juifs pour recevoir la torah au Sinaï. 

 « De même que vous êtes rentré dans l’alliance, par la milah et l’immersion dans le mikveh et par l’aspersion du sang, ainsi les convertis rentrerons dans l’alliance par la milah l’immersion dans le mikveh et l’aspersion du sang des sacrifices ». (À l’époque du Beth Hamikdash le converti apportait un sacrifice le jour de sa conversion). Le lien entre l’événement sinaïque et la conversion est encore renforcé par le fait que le récit du Sinaï est juxtaposé à la venue de Yitro qui vient se convertir, ainsi que par le fait que les sages ont institué de lire le rouleau de Ruth le jour de chavouoth (Ruth étant une convertie).  Le Maharal de Prague (Gur Aryeh Genèse 46 10) dit, cependant, qu’il y a une différence essentielle entre le don de la torah au Sinaï et une conversion à proprement parler. En effet, la torah nous dit que les juifs n’avaient pas le droit de se marier avec des membres de leurs familles, alors qu’un converti a le droit de se marier avec des membres de sa famille. La torah considère que le converti nait le jour même de sa conversion, un converti a le droit de se marier avec sa mère ou avec sa sœur, puisque sa conversion annule ses liens de parenté. C’est ainsi que Jacob a pu se marier avec deux sœurs, Rachel et Leah, car puisque qu’elles étaient converties elles n’avaient plus de lien de parenté. À la différence du converti classique, Les juifs ont conservé leur lien de parentés en recevant la torah au mont Sinaï. Le Maharal explique cette différence du fait que le converti se converti de son propre chef, ce qui n’était pas le cas des juifs dans le désert. Le converti décide lui-même de se convertir, cette décision libre est si forte qu’on considère comme si le converti se recréait lui-même par son choix. Alors que les juifs ont été forcé à recevoir la torah sur le mont Sinaï, D leur a renversé la montagne sur la tète en leur disant : « si vous n’acceptez la torah vous serez enterrés ici ». Du fait que la décision des juifs été forcée on ne peut pas considérer que l’acceptation de la torah était une renaissance ex-nihilo, c’est pour cela que les juifs conservent leurs lien de parentés sur le mont Sinaï, bien que cela ne soit pas le cas du converti classique.

Quoiqu’il en soit le don de la torah au Sinaï montre qu’il est possible de recevoir la torah et de « se convertir » sans pour autant briser ses liens de parentés. Ceci nous amène donc à nous demander pourquoi dans la conversion classique l’acceptation de la torah doit s’accompagner de la rupture de la parenté.

Il est intéressant de remarquer que dans les lois de la conversion le fait de briser les liens familiaux n’est pas une condition à la conversion, la torah n’exige pas du converti qu’il brise ses liens familiaux pour que sa conversion soit valable. La rupture des liens familiaux n’est pas une exigence de la halacha, elle est décrite dans le Shulhan Aruch comme une conséquence évidente de l’acceptation de la torah par le converti. Il est difficile de comprendre pourquoi le fait d’accepter la torah doit automatiquement entrainer la rupture des liens familiaux, cette difficulté se vérifie par l’exemple de la révélation du Sinaï où les juifs ont accepté la torah sans renier leurs liens de parente.

Ce rapport à la parenté reste une problématique centrale dans l’histoire de Ruth. En lisant la Megilah de Ruth on a l’impression que Ruth a coupé les ponts avec ses origines moabites et qu’elle s’est intégrée parfaitement dans la population juive. Pourtant lorsqu’on lit le livre de Samuel on est surpris d’apprendre que lorsque le roi David est poursuivi par Saul, David et sa famille choisissent se cacher chez le roi de Moab plutôt que de demander de l’aide a des juifs.

En effet les versets disent (Samuel 1 22)

« Ses frères et toute sa famille paternelle, l'ayant appris, y descendirent auprès de lui. 2 A lui se joignirent aussi tout homme en détresse, tous ceux qui avaient des créanciers, tous les désespérés; il devint leur chef. Environ quatre cents hommes se groupèrent autour de lui. 3 De là, David se rendit à Miçpé-Moab, et il dit au roi de Moab "Permets que mon père et ma mère aillent demeurer chez vous, jusqu'à ce que je sache ce que Dieu décidera de moi." 4 Il les conduisit donc devant le roi de Moab, chez qui ils demeurèrent tout le temps que David passa dans le fort »

David et ses parents font plus confiance aux moabites qu’aux juifs. D’une certaine manière, même après avoir été oint comme roi d’Israël, David se sent plus moabite que juif. 

Il est difficile de comprendre pourquoi David et ses parents se sentent si proche du roi de Moav ? Cette confiance de David envers les ennemis d’Israël semble remettre en cause l’authenticité de la conversion de sa grand-mère. Pourtant, la conversion de Ruth est toujours décrite par les sages comme le prototype de la conversion exemplaire, comment comprendre ce paradoxe ?

Une autre problématique sur le lien de parenté apparait dans la Megilah de Ruth, concernant la descendance de Ruth.

A la fin de la Megilah de Ruth, lorsque Ruth a un enfant on peut lire les versets suivant :

« Elle mit au monde un fils. 14 Alors les femmes dirent à Noémie: "Loué soit l'Eternel qui, dès ce jour, ne te laisse plus manquer d'un héritier! Puisse son nom être illustre en Israël! 15 Puisse-t-il devenir le consolateur de ton âme, l'appui de ta vieillesse, puisqu'aussi bien c'est ta bru qui l'a mis au monde, elle qui t'aime tant et qui est meilleure pour toi que sept fils!" 16 Noémie prit le nouveau-né, le mit sur son giron et se chargea de lui donner ses soins. 17 Et les voisines désignèrent l'enfant en disant: "Un fils est né à Noémie." Et elles l'appelèrent Obed. Celui-ci devint le père de Jessé, père de David. »

Ces versets semblent montrer que Ruth est dépossédée de son fils. Premièrement les femmes disent à Naomi «Un fils est né à Noémie », ce qui semble indiquer qu’Obed est vu comme le descendant de Naomi et pas comme l’enfant de Boaz avec Ruth. Ensuite, c’est Naomi qui va éduquer l’enfant et pas Ruth, de plus, on se rend compte que ce sont les voisines qui vont donner le nom à l’enfant et pas Ruth. Ruth est complètement dépossédée de son fils. Comme si l’enfant était l’enfant de Noémie et d’Elimeleh et pas celui de Ruth avec Boaz. Pourquoi Ruth est elle dépossédée de son fils ?

Avant de répondre à ces questions il nous faut étudier citer un passage du talmud dans Baba Batra 91a.

Ce passage du talmud est énigmatique. Il fait référence à deux personnages bibliques peu connus Abtsan et Manoah. Abtsan est un juge d’Israël dont on sait simplement qu’il a eu 60 enfants et Manoah est le père de Samson. Selon le talmud ces deux personnages ont vécu à la même époque. Dans ce texte, le talmud va identifier Abtsan comme étant Boaz le mari de Ruth. Au fur et à mesure de l’analyse du texte je vais rapporter les sources bibliques qui soutiennent ce passage du talmud.

« Rabi Itzhak dit « le jour où Ruth la moabite est rentrée en Israël la femme de Boaz est morte » ; comme dit le proverbe « avant qu’une personne ne meurt il y a déjà quelqu’un pour le remplacer !»

« Rabah le fils de rav Hunah dit au nom de rav : « Abtsan, c’est Boaz ! » Que vient-il nous apprendre ? Il explicite un autre enseignement de Rabah le fils de rav Hunah au nom de rav, car Rabah le fils de rav Hunah a dit au nom de rav « Boaz a fait 120 festins pour ses enfants comme le verset dit « et il eu 30 fils et 30 filles qu’il a envoyés à l’extérieur, et il a pris trente filles de l’extérieur pour ses enfants et il a jugé Israël pendant 7 ans. »

Pour le mariage de chacun de ses enfants Boaz a fait deux festins, un dans la maison de ses beaux parents et un dans sa propre maison. Et à aucun des mariages il n’a invité Manoah, il s’est dit « cette mule stérile ! Comment peut-il me rembourser ? Une beraitah nous enseigne que tout Les enfants d’Abtsan sont morts de son vivant. C’est ce que dit le proverbe « à quoi cela peut servir d’avoir 60 enfants, donne naissance à un seul qui vaudra bien mieux que les soixante »

Analysons le texte en le découpant.

Rabi Itzhak dit « le jour ou Ruth la moabite est rentrée en Israël la femme de Boaz est morte, comme dit le proverbe « avant qu’une personne ne meurt il y a déjà quelqu’un pour le remplacer »

Que veut dire le talmud lorsqu’il affirme que la première femme de Boaz est morte le jour où Ruth est rentrée en Israël ? De plus, le proverbe cité par le talmud est choquant, comment peut on dire que toutes les femmes sont interchangeables ? Comme si pour Boaz, il n’y avait aucune différence entre sa première femme et Ruth, puisqu’une femme reste une femme. 

Le Maharal de Prague explique que le talmud veut mettre en opposition Boaz avec Elimeleh le premier beau père de Ruth. Le beau père de Ruth Elimeleh est sorti de la terre d’Israël et il a marié ses deux enfants avec des femmes non juives. Ailleurs le talmud condamne Elimeleh, car il aurait du rester en Israël pour servir de guide au peuple, mais il a fuit sa responsabilité et il s’est enfuit dans un pays étranger.

Par contre Boaz était destinée à se marier avec une convertie, mais il a fui sa destinée et il a choisit de se marier avec une femme juive, contre sa nature. Abtsan ne voulait pas assumer la responsabilité de sa vocation qui le destinait au mariage avec une convertie. Boaz savait au plus profond de lui-même qu’il ne réalisait pas sa destinée réelle en restant avec sa femme juive. De ce fait il se sentait obligé d’avoir le plus d’enfants possibles avec elle pour se prouver à lui-même que son choix était le bon. Il voulait que son mariage soit très fertile, car il voulait se prouver a lui même qu’il avait choisit la femme de sa vie.

C’est pour montrer que Boaz vit son mariage et ses enfants dans le registre de la production et de la rentabilité, que le talmud utilise à son sujet des proverbes cyniques « toutes les femmes sont interchangeables », « les 60 enfants ne valent pas un seul si il est doué ». Boaz reste dans le registre de la comptabilité et de la productivité. Lorsqu’un homme est obligé de compter ce qu’il produit, cela prouve qu’il se fuit à lui à lui-même, par ce qu’il cherche à produire pour combler un vide intérieur.

Le talmud continue :

« Rabah le fils de rav Hunah dit au nom de Rav : « Abtsan, c’est Boaz ! Que vient-il nous apprendre ? Il explicite un autre enseignement de Rabah le fils de rav Hunah au nom de Rav, car Rabah le fils de rav Hunah a dit au nom de Rav « Boaz a fait 120 festins pour ses enfants comme le verset dit « et il eu 30 fils et 30 filles qu’il a envoyés à l’extérieur, et il a pris trente filles de l’extérieur pour ses enfants et il a jugé Israël pendant 7 ans. »

Abtsan est un juge d’Israël duquel on ne sait pas grand-chose. Le livre des juges dit simplement à son sujet : « Israël fut gouverné, après lui, par Ibsan, de Bethléem. Il eut trente fils et trente filles. Il maria ces dernières au dehors et il introduisit dans sa famille trente brus pour ses fils. Après avoir gouverné sept ans Israël, Ibsan mourut, et fut enseveli à Bethléem. »

La fait que le talmud identifie Abtsan a Boaz, le mari de Ruth, nous montre qu’Abtsan a changé de nom en se mariant avec Ruth. En ayant des enfants avec une femme juive quelconque, il était tellement loin de son rôle que lorsqu’il se marie avec Ruth il change complètement de nature.

C’est grâce à son mariage tardif avec Ruth qu’Abtsan arrive enfin à découvrir sa véritable nature. Dans le livre des chroniques Rashi interprète le nom « Abtsan » comme voulant dire « le père des refroidis, le père de tous les frustrés ». Alors que le nom Boaz qu’il prend avec Ruth veut dire : « celui qui a la puissance ».

Le talmud continue :

Pour le mariage de chacun de ses enfants Ibsan a fait deux festins, un dans la maison de ses beaux parents et un dans sa propre maison. Et à aucun des mariages il n’a invité Manoah il s’est dit « cette mule stérile ! Comment peut-il me rembourser ? Une beraitah nous enseigne que tout ses enfants sont morts de son vivant c’est ce que dit le proverbe « à quoi cela peut servir d’avoir 60 enfants, donne naissance à un seul qui vaudra bien mieux que les soixante »

Ici le talmud met en opposition Boaz avec Manoah. Le nom « bo az » veut dire « en lui est la puissance », alors que « Manoah» veut dire « celui qui est dans le repos ». Manoah est le père de Samson. 

Avant la naissance se Samson, Manoah et sa femme sont stériles, mais ils vivent bien leur stérilités, ils ne prient pas pour avoir des enfants. Ils sont à l’opposé de Abtsan qui cherche toujours à avoir le plus grand nombre possible d’enfants. Si Manoah vit bien sa stérilité c’est par ce qu’il sait qu’il est en phase avec lui-même, contrairement à Abtsan, il n’est pas en fuite devant sa destinée.  Les deux parents de Samson sont avertis avant sa naissance de son futur et de sa destinée. Ce phénomène est tout à fait exceptionnel dans la bible. Manoah et sa femme son opposés à Boaz et à sa première femme. Manoah et sa femme sont tellement lucides dans la connaissance de leur nature profonde qu’ils sont capables de connaître la destinée de leur enfant. Alors que Boaz reste complètement étranger à lui-même, il ne sait pas que c’est à travers Ruth qu’il va avoir une descendance viable. Boaz ne verra même pas son fils, puisqu’il meurt avant la naissance de celui-ci.

Tout ce commentaire du talmud est adapté du Maharal ad hoc.

Mais, même après ce commentaire, ce passage du talmud nécessite un approfondissement. En effet dans la bible aucun lien apparent n’existe entre Boaz et le père de Samson. Pourquoi le talmud choisit-il de lier les deux personnages ? Pourquoi le talmud choisit-il de nous parler de l’accomplissement de la destinée à travers les personnages de Boaz et Manoah ? Qu’est ce qui a poussé nos sage à penser que Abtsan et Boaz était une seule et même personne ?

Pour répondre à toutes ces questions il faut approfondir la question du départ. 

2- Narcissisme et sado masochisme dans le rapport au divin

Revenons à la question initiale, à savoir qu’est ce qui relie le fait d’accepter la torah et l’appartenance familiale.

Le fait de lier la conversion au judaïsme à la rupture des liens familiaux, donne à croire que le converti doit accepter la loi de la torah comme une vérité absolue qui nie l’identité du sujet et son passé. La loi de la torah serait une sorte de vérité absolue qui ne laisserait pas de place à une vérité personnelle et subjective.

Pourtant cette explication est probablement fausse, puisque les lois de la torah laissent une grande place à l’appartenance familiale et aux distinctions tribales parmi les juifs de souches. Ces distinctions et ces particularismes remettent en question la possibilité de penser que la torah est absolument monolithique et suffisante à elle-même sans références extérieures.

De plus, le fait même que la torah encourage le juif à interpréter la torah par l’étude, montre que la torah accorde une grande place à la subjectivité de l’individu et au développement de son identité.

Il parait donc plus logique de dire que la torah ne nie pas l’identité et l’histoire du converti, elle cherche plutôt à définir différemment le rapport à l’identité. En fait la torah cherche à nier un rapport narcissique à l’identité.

Pour introduire cette idée je vais citer le passage d’un texte ou Lou Andreas Salomé, dans ce texte, elle raconte un souvenir décrivant le lien entre son rapport à D et la relation narcissique qu’elle a pour elle-même.

Voici ce texte.

« Le premier souvenir que j’aie de mon père ne me semble pas éclairer suffisamment ce processus obscur selon lequel j’ai pu concevoir de lui mon modèle de D. 

Toute petite fille, je me vois debout dans mon lit à barreaux quand mon père, revenant, en grand uniforme, d’un diner de gala veut me tirer à lui et ce faisant, touche de sa cigarette allumée mon épaule nue. Bien entendu je pousse des cris épouvantables et quand, tendrement effrayé de son méfait paternel, il me couve tout entière de baisers, je m’aperçois muette d’étonnement et de satisfaction- qu’il y a dans ses yeux d’acier, des larmes, de vraies larmes. » Par cette histoire, Salomé analyse la racine de son rapport au divin. Il y a deux mécanismes importants en mouvement dans ce récit. Le premier c’est le narcissisme, Salomé jouie par ce qu’elle occasionne une réaction émotive incontrôlée chez son père. Les larmes de son père sont une cause de jouissance chez Salomé. La jouissance de Salomé vient du fait qu’elle est la cause des larmes, l’image que Salomé a d’elle-même est valorisée par les larmes de son père, cette jouissance est narcissique.

Le deuxième mécanisme c’est le sado masochisme. La petite fille jouit du fait qu’elle est brulée, il y a donc du masochisme et elle jouit aussi des larmes de son père, il y a donc aussi du sadisme. 

(Si dans l’histoire on remplace les larmes du père par le sperme du conjoint, on y découvre une description assez fidele d’une modalité du rapport homme-femme, et une description assez vivante de la sexualité féminine. Mais malheureusement, ce n’est pas le sujet pour le moment.)

Remplaçons donc plutôt le père par D. 

Dans le rapport à D, tel que nous le vivons tous les jours, les sentiments narcissiques et sado masochistes sont il absent ? Ce n’est pas si évident. On pourrait très bien vivre le don de la torah dans la modalité des mécanismes décrits par Lou Salomé. On pourrait vivre le don de la torah de la manière suivante : D nous donne la torah, la loi est difficile, la responsabilité morale est insoutenable, l’élection d’Israël est tragique et dramatique. Puisque l’homme n’est pas parfait il est condamné à fauter et donc à être puni, en nous donnant la torah au Sinaï, D nous brule avec sa cigarette. On peut percevoir le don de la torah comme un acte sadique de D has vechalom, et un acte masochiste de la part du juif.

Ensuite dans un deuxième temps, par la prière et la techouvah en pleurant nous même, nous faisons couler des larmes à D pour, qu’il ait pitié de nous, et là nous sommes dans la jouissance narcissique.

Non seulement, Il peut y avoir un rapport pervers avec le divin, mais en plus il semble que ce rapport soit le plus naturel du monde. Comment peut-on sortir de ce type de relation perverse avec D ou avec l’autre ? Quel est le moteur de cette dynamique destructrice?

On peut comprendre la solution au problème en lisant un autre passage d’un texte de Salomé 

« L’image la plus haute de la femme n’est donc pas la mère et l’enfant, mais si l’on s’exprime selon les images chrétiennes de la madone, - la mère au pied de la croix-: celle qui sacrifie son fils a l’œuvre de celui-ci, au monde et à la mort ». (Marie Moscovici a raison d’interpréter cette phrase de Lou Salomé en traduisant les mots « le fils » par « l’homme » en général, « celle qui sacrifie l’homme ».) 

(Ici je renvoie le lecteur à mon cours sur pourim 2011 et sur le culte d’Astrathée et son opposition avec le ligotage d’Isaac.) 

Salomé nous dit que la femme peut dépasser son rapport narcissique à elle-même par le sacrifice de l’homme ou du fils vers D. La femme a accès a D uniquement grâce au sacrifice, mais ce qu’elle sacrifie ce n’est pas elle-même c’est le fils, ou l’homme.

Qu’est ce que ca veut dire ?

Premièrement, il faut constater que cette idée de Salomé est contradictoire. Si la femme sort de son narcissisme et qu’elle a un rapport à D, qui n’est plus pervers alors, cela implique qu’elle soit capable de se sacrifier elle-même. Sortir de son narcissisme, cela semble vouloir dire être capable de se sacrifier soi même. Pourtant Salomé nous dit que la femme reste incapable de se sacrifier elle-même, elle ne fait que sacrifier l’autre, or si elle ne se sacrifie pas elle-même, si elle sacrifie l’homme, alors cela veut dire qu’elle n’a pas de rapport à D, puisqu’elle ne sort pas du narcissisme ! Comment sortir de cette circularité ?

Pour répondre à ces questions il faut analyser plus en profondeur le rapport narcissique. En fait le rapport narcissique n’est pas une adoration de soi même, c’est l’adoration de son identité. Il y a deux manières d’envisager le rapport à la morale et à l’identité. La première manière est la manière narcissique sado masochiste. Dans ce schéma l’homme s’identifie à une image de lui-même, il devient l’adorateur de cette image. Cette image devient la source de toutes les invectives morale. « Tu dois maigrir ! Tu dois travailler ! Tu dois croire en D. » les commandements moraux émanent de la nécessité que l’on éprouve à se conformer à une image que l’on se fait de soi. De plus, cette image que l’on se fait de soi même devient le moteur de nos désir, par exemple si on s’identifie à l’image d’un homme qui réussit, pour se prouver à soi-même que l’on est bien cette image, on désir des objets fétiches, une Rolex, une Mercedes qui vont nous permettre de croire à notre identité. D’une manière plus intime c’est l’image que l’on a de soi qui détermine nos désirs sentimentaux ou spirituels. On désire ce qui va nous prouver à nous même que l’on est bien l’image que l’on idolâtre.  Aussi l’identification à une image fait naitre un autre type de désir qui est totalement opposé au premier. Quand l’homme se sent enfermé par l’identification à son image, il peut éprouver le besoin de se libérer de cette identification. Pour se prouver qu’il n’est pas l’image qu’il adore, alors l’homme va désirer des objets qui sont en totale opposition avec son identification. C’est cette pulsion de révolte face à l’identité qui est la source de tous les comportements addictifs auto destructeurs.  Plus un homme assume une position de pouvoir, plus il se sent enfermé par la position paternelle qu’il occupe socialement, plus il aura tendance à développer des désirs auto destructeurs incompressibles. (Exemple DSK.) Ces pulsions sont le produit d’un désir de révolte incompressible face à son identité. Lorsque l’homme occupe une position sociale de pouvoir, une fonction « paternelle », il à tendance de manière narcissique à avoir cette relation paternelle avec lui-même, par cette relation narcissique il crée en lui-même un enfant révolté qui n’est plus contrôlable et qui s’oppose au père intérieur.

Souvent chez la femme, l’homme est l’interface qui permet l’identification à l’image de soi, c’est pour cela que l’on assiste souvent à une bipolarisation du désir chez la femme dans son rapport à l’homme, un mouvement hystérique qui s’agite entre l’identification à l’image de soi par le mari et le rejet de cette identification .

Dans son rapport narcissique à l’identité, l’homme ou la femme établissent donc une relation sado masochiste avec eux-mêmes, ou avec l’autre.  Ce qui permet de sortir de cette relation sado masochiste c’est le sacrifice de l’enfant. Par sacrifice on peut entendre le fait de mettre au monde un enfant et de l’éduquer. L’enfant c’est l’inconnu, c’est le devenir qui résiste à l’image fixe. Seul Manoah et sa femme connaissent le futur de Samson, aucun autre parent ne connaitra jamais la destinée de ses enfants. Ruth ne savait pas qu’elle allait donner naissance au messie, mais Manoah savait que son fils allait sauver Israël. Manoah et sa femme connaissent le futur de leur fils par ce qu’ils se sont émancipés de l’image qu’ils ont d’eux même, ce ne sont pas des esclaves de la production, ou de la créativité. Ils s’acceptent comme étant en devenir et en processus de transformation. Manoah aurait pu rester stérile, par ce qu’à l’image du converti, il se crée lui-même. Abtsan est opposé par le talmud à Manoah. Abtsan a une image déterminée de lui-même, il idolâtre cette image, il doit être un juge d’Israël, pour cela il ne conçoit pas la possibilité de se marier avec une convertie, même si c’est dans cette direction que sa véritable nature le porte. Pourtant il n’est capable de donner une postérité qu’à travers Ruth qu’il marie un jour avant sa mort, pour Abtsan l’enfant restera parfaitement un inconnu.  A travers le rapport à l’enfant ou à la création, l’homme ou la femme ouvre une porte vers l’infini du devenir et ils sortent de l’idolâtrie narcissique. La torah n’amène pas le converti à briser son identité, elle lui donne la possibilité de la faire évoluer vers un infini indéterminé à venir. Par la création offerte l’homme peut échapper à une relation narcissique avec D.

Pour la femme, la manière de sortir de l’idolâtrie narcissique de l’image identitaire, ce qui permet l’ouverture vers un D infini sans visage, un D qui n’est plus représenté par le visage ou l’interface d’un tiers, c’est le sacrifice d’une création au D infini. La femme ne peut avoir un rapport à l’infini qu’en apportant sur l’autel de l’infini à venir, l’image de l’homme ou de son enfant, l’image de son livre ou de son tableau ou de son business.

Ruth est dépossédée de son fils par ce qu’elle est dans un processus de recréation sans but défini, Ruth tend vers un avenir inconnu. Elle ne projette aucun rêve sur son fils, ce sont les voisines qui donnent un nom au bébé. Elle offre son fils à sa belle mère, et à son mari défunt. C’est de cette négation de l’image possessive de la mère que vient le messie.

Le roi David se sent plus moabite que juif, ce sentiment ne met pas en cause sa judéité, cela met simplement en exergue le fait que le roi David continue le processus d’auto-création de son arrière grand mère. Il n’a pas une image de l’identité nationale d’Israël arrêtée et définie, ce n’est que par la suite que David va prendre ses distances avec moav.

3- L’ouverture sur le futur indéfini, change le sens du passé d’une manière rétroactive.

Au début du texte nous avons cité les paroles du Maharal. Pour le Maharal le don de la torah au Sinaï ne brise pas les liens familiaux par ce que le don de la torah était forcé, les juifs ont reçu la torah contre leur grés, pas par choix.  On peut objecter une question forte à cette idée du Maharal. En effet la torah dans le deutéronome envisage le cas de « la femme aux belles formes ». Si un soldat capture « une femme aux belles formes » dans une bataille, il a le droit de la violer une foi, ensuite, la femme est convertie de force pour être mariée avec le soldat. Dans ce cas la femme n’a pas besoin d’accepter sur elle les lois de la torah, tout ce qu’elle doit faire pour devenir juive, c’est pleurer sur son père et sa mère pendant un mois. Or, il n’y a pas de conversion plus forcée que celle de cette femme là ! Et pourtant la torah dit que la femme perd tous les liens de parentés avec sa famille ! Alors comment le Maharal peut il prétendre que c’est le choix libre qui brise le lien de parenté ? A mon avis, la raison pour laquelle le don de la torah n’a pas brisé le lien de parenté, c’est par ce que le don de la torah était la finalisation d’un processus de conversion qui avait déjà commencé avec Abraham. Et, du fait que le processus de conversion avait déjà commence avec Abraham la conversion était valable rétroactivement depuis Abraham. Le talmud dans Avodah Zarah 9a dit que le don de la torah a commencé avec Abraham. La conversion est un processus qui donne un sens au passe de manière rétroactive. On retrouve cette idée de la conversion comme processus en devenir fonctionnant de manière rétroactive dans la Megilah de Ruth.  Il y a une très grande question que les commentateurs demandent sur la Megilah de Ruth : si Ruth s’est convertie après la mort de son mari, lorsqu’elle a décidé de suivre sa belle mère Naomi en Israël, alors cela implique que le mariage avec son premier mari n’avait pas de valeur halachique, puisqu’elle était non juive au moment de ce mariage, alors comment se fait-il que dès qu’elle arrive en Israël, Ruth doit faire la « halitsah », pour ne pas faire le yeboum « le lévirat » avec l’oncle de son mari ?, et si au contraire on maintient que Ruth était déjà juive au moment de son mariage avec son premier mari, alors pourquoi après la mort de celui-ci, sa belle mère essaie de la rejeter et de la dissuader de la suivre ? Si Ruth était juive, Noémie n’avait pas à la rejeter. Il semble donc qu’il y a une contradiction interne dans la Megilah de Ruth ! La seule manière de répondre a cette question consiste a dire que la conversion de Ruth était un processus en mouvement vers l’avenir, et que bien que Ruth a accepté les mitsvoth d’une manière complète uniquement en arrivant en Israël, elle avait déjà commencé a se reprocher du judaïsme avant de se marier avec son premier mari, et puisque à la fin l’acceptation de la torah de Ruth a été entière, rétroactivement la conversion est considérée valable depuis le mariage avec son premier mari.  Si le converti est appelé le fils d’Abraham c’est par ce que grâce à sa recherche il est capable de redonner un sens à l’histoire universelle rétrospectivement depuis Abraham. Le lignage du converti à Abraham n’exclue pas les autres patriarches Isaac et Jacob, il les inclut aussi, mais il permet aussi d’inclure d’autres ancêtres qui ne sont pas des descendants du lignage d’Isaac ou Jacob.

On retrouve cette idée de conversion comme processus en mouvement dans le fait que la halacha ne demande pas au converti de connaître toute la torah lorsqu’il se converti, il ne doit connaître que les mitsvoth principales (Shulhan Aruch Yoreh Deah 267). Cette halacha prouve que la conversion doit être un processus progressif.

Le Maharal de Prague demande, dans son livre « la gloire d’Israël » : « pourquoi au mont Sinaï D n’a donné que 10 commandements ? La torah aurait du être donnée en entier d’un seul coup ? Pourquoi fallait-il attendre 40 jours pour recevoir le reste des mitsvoth ? » Le Maharal répond qu’il fallait que l’apprentissage de la torah soit un processus dynamique progressif, pas une révélation qui se fait en un bloc.

L’essence de la torah c’est la création d’une dynamique qui permet de sortir de l’image que l’on se fait de D, ou de la loi, ou que l’on se fait de soi même. Cette désubstantialisation de soi et cette autocréation permanente permettent de donner un sens nouveau au passé d’une manière rétroactive.

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