Les parashiot précédentes nous parlent de la construction du mishkan.
La parasha de la semaine commence par l’appel fait à Moshe lors de l’inauguration du mishkan.
Le premier verset de la parasha dit «L'Éternel appela Moïse, et lui parla, de la Tente d'assignation, en ces termes ». Rashi explique que l’appel à Moshe était un signe d’affection « Toutes les fois que Hachem s’est adressé à Moche en lui « parlant », en lui « disant » et en lui « ordonnant », il a commencé par « appeler », c’est une expression d’affection (Yoma 4b, Vayikra Raba), identique à celle employée par les anges de service, comme il est écrit : « Il “appela” l’un l’autre… » (Yecha’yah 6, 3). Tandis que c’est de manière fortuite et impure qu’Il se révèle aux prophètes des nations du monde, comme il est écrit : « Elohim “survint” vers Bilame, il lui dit… » (Bamidbar 23, 4). ».
Cependant cette interprétation semble contredire un commentaire de Jonathan ben Ouziel (un auteur de la mishna - 1er siècle) qui pense que c’est Moshe qui a décidé de lui-même de na pas accéder à la tente d’assignation tant qu’il n’était pas appelé. Pour Jonathan ben Ouziel, Moshe a pris cette décision en ce basant sur un raisonnement « à plus forte raison » un kal vahomer. Je cite ici le texte de Jonathan ben Ouziel « Et ce fut quand moise eu terminé de construire le mishkan. Moshe a pensé et il a réfléchi, le mont Sinaï dont la désignation n’était que temporaire, et dont la sainteté n’a dure que 3 jours, je n’avais pas le droit d’y entrer tant que D ne m’appelait pas. Le mishkan (le temple) dont la désignation est éternelle, et dont la sainteté est éternelle, n’est il pas logique que je ne puisse y rentrer jusqu'à ce que j’y sois appelée ? C’est pour cela que la parole de D a appelé Moshe, et que le verset dit que « la voix l’appelait de la tente d’assignation pour lui parler. » Le raisonnement prêté par Jonathan ben Ouziel à Moshe peut être critiqué, car le dévoilement de D sur le mont Sinaï, avait été un dévoilement décidé par D, il n’avait pas été provoqué par l’homme. Sur le mont Sinaï D s’est dévoilé dans le feu le tonnerre et les éclairs, il était normal que Moshe ne puisse pas pénétrer ce feu tant qu’il n’était pas invité à le faire par D. Le fait même que D se dévoile d’une manière si terrible, avait pour but de mettre à distance les hommes. La sainteté du mishkan, par contre, était entièrement l’œuvre des hommes. C’est Moshe lui-même qui avait sanctifié les ustensiles du mishkan par l’huile d’onction, il n’y avait donc peut être pas lieu, dans ce cas, d’attendre l’appel de D pour entrer, puisque que la sainteté du temple été entièrement le fruit du travail de l’homme.
On peut poser une autre question sur le commentaire de Jonathan ben Ouziel, car le dernier verset de la parasha précédente dit clairement que Moshe ne pouvait pas entrer dans la tente d’assignation par ce que la fumée remplissait la tente. Le verset dit «Alors la nuée enveloppa la Tente d'assignation et la majesté du Seigneur remplit le Tabernacle. 35 Et Moïse ne put pénétrer dans la Tente d'assignation, parce que la nuée reposait au sommet et que la majesté divine remplissait le Tabernacle ». Si c’était le cas, pourquoi Moshe aurait- il donc eu besoin de faire un raisonnement pour attendre d’être appelé à entrer dans la tente, de toutes les manières il ne pouvait pas entrer dans la tente sans être appelé à cause de la fumée?
Avant de répondre à ces questions. Je voudrais m’arrêter sur un autre point fondamental de la parasha : le lien entre le rituel des sacrifices et la loi. La parasha nous explique que D appelait Moshe pour qu’il reçoive les lois de la torah. La voix de D parle d’entre les chérubins pour dicter les lois de la torah. Le mishkan avait pour but de prolonger dans la durée le dévoilement de D qu’il y avait eu sur le mont Sinaï, (Nahmanide, 14e siècle séfarade). Le Even Ezra (12e siècle) explique au début de cette parasha qu’il ne pouvait pas y avoir de loi tant qu’il n’y avait pas de temple pour faire des sacrifices. Je cite le commentaire d’Even Ezra « D a demandé les sacrifices, avant les commandements, car sans les sacrifices, la chehinah (la présence divine) revient à son endroit, (c'est-à-dire au ciel) et il ne peut donc pas y avoir de commandements. (Il ne peut pas y avoir de commandements) si on ne garde pas la loi de l’holocauste, comme l’histoire l’a prouvé, (la loi ne peut plus être donnée après la destruction du temple, à ce stage, elle ne peut qu’être retransmise fidèlement). Mais, ce n’est pas que D a besoin de sacrifices, comme le verset le dit « si j’ai faim je n’ai pas besoin de te le dire » » fin de citation. Le Even Ezra explique que la loi ne peut être donnée que s’il y a une révélation de D dans la création. Cette révélation ne vient que grâce aux sacrifices, apporter des sacrifices c’est inviter D à sa table. Apporter des sacrifices c’est reconnaitre la présence de D dans le monde matériel. Sans les sacrifices la conscience de l’homme a tendance à placer D dans le ciel, et si on pense que D est dans le ciel on ne peut plus recevoir la loi.
A priori ce que veut dire le Even Ezra c’est exactement ce que Levinas dit dans sa critique sur Maimonide dans totalité et infini, c'est-à-dire que la loi ne peut naitre qu’à partir de la révélation de l’existence de l’autre comme une essence sacrée. L’existence de l’autre s’impose à moi, comme une présence sacrée et une révélation divine. Cette présence de l’autre remet en cause mes droits et m’oblige à me demander « est ce que j’ai le droit d’exister ? ». Pour Levinas c’est cette remise en question de soi qui est la racine de la loi.
Cependant cette lecture levinassienne de Even Ezra ne parait pas suffisante, car elle n’explique pas la nécessité du rituel des sacrifices. L’homme pourrait très bien sentir l’altérité du monde comme une révélation de D, sans pour autant avoir besoin de faire des sacrifices rituels. Si on veut comprendre les paroles de Even Ezra nous sommes donc obligé de dépasser la philosophie levinassienne. Il semble que, selon le Even Ezra, le rite des sacrifices nous permette d’envisager la loi d’une manière qui serait impossible sans les sacrifices.
Dans le commentaire de Rashi que nous avons apporté au début du texte, nous voyons que le rite des sacrifices a pour corolaire une marque d’affection de D pour l’homme. L’homme se sent appelé par son prénom par D lui-même. Le midrash dit à ce sujet que Moshe avait 10 noms, il s’appelait Netanel, par ce qu’il avait reçu la torah de D de main en main, il s appelait Avigdor, par ce qu’il avait créé une barrière pour protéger les juifs de la destruction, il s’appelait l’écrivain par ce qu’il avait codifié la loi. Pourtant, le midrash conclu en disant «pourtant D a dit à Moshe, « je te jure sur ta vie, que de tous les noms par lesquels tu as été appelé, je ne t’appellerai que par le nom que t’a donné Batya, la fille de pharaon », comme il est dit « et elle a appelé son nom Moshe », et ici il est dit « et D a appelE Moshe ». (Fin de citation). L’affection de D pour Moshe grâce au sacrifie rituel ne dépend pas de ses accomplissements et de ses actions, D appelle Moshe par son nom « goy », par ce qu’il l’aime tel qu’il est.
Par opposition, si on envisage la révélation de D selon Levinas, on s’aperçoit que cette présence est terrifiante. La révélation de D remet l’homme en question dans son essence, puisqu’elle l’oblige à se demander « est ce que j’ai le droit d’exister ? ». L’homme perçoit la révélation de la présence de l’autre comme une claque en pleine gueule. Levinas va même jusqu'à penser que « l’être c’est le mal ».
C’est-à-dire que pour Levinas la volonté d’exister et d’affirmer une volonté de puissance c’est le mal absolu. L’homme ne peut percevoir D que comme une imposition, comme si il était menacé par une montagne retournée sur sa tête.
Il reste à comprendre comment le rituel des sacrifices et la construction d’un temple permettent à l’homme de se sentir appelé par D avec affection.
Pour cela je vais citer un autre midrash. Le midrash Rabah dit : « Et D appela Moshe. Qu’est il dit dans le chapitre précédent ? « Comme D l’avait demandé à Moshe ». Cela ressemble à un roi qui a demandé à son esclave de lui construire un palais. Sur chaque élément de la construction l’esclave écrivait le nom du roi. Il construisait des murs et il écrivait dessus le nom du roi. Il faisait des colonnes et il écrivait dessus le nom du roi, il faisait la toiture et il écrivait sur les poutres le nom du roi. Plus tard, le roi est rentré dans le palais, lorsqu’il regardait chaque élément du palais, le roi voyait son nom inscrit dessus. Il a dit « mon esclave m’a fait tellement d’honneur et moi je suis à l’intérieur et lui il reste à l’extérieur ». Il a donc appelé l’esclave pour qu’il puisse rester à l’intérieur avec lui. De la même manière, lorsque D a parlé à Moshe en lui disant « fais moi un temple » sur chaque élément qu’il a construit Moshe a écrit dans la torah « ainsi commande D a Moshe ». D a dit « tout ces honneurs m’ont été fait par Moshe, et moi je suis à l’intérieur et il reste à l’extérieur ! », D a donc appelé Moshe pour qu’il rentre à l’intérieur, c’est pour cela qu’il est dit « et il a appelé Moshe ».
Si on relie ce midrash avec le commentaire de Jonathan ben Ouziel, que nous avions cité plus haut, on peut comprendre le sens du temple et le sens des mitsvoth rituelles dans la torah en général. La fonction du rituel est de créer une relation narcissique entre l’homme et D. D demande à l’homme de faire des actes rituels, des sacrifices, ou des actes symboliques, D lui-même n’a pas besoin de ces sacrifices ou de ses offrandes, mais il les demande à l’homme en signe d’affection, comme pour l’appeler personnellement. En retour lorsque l’homme accomplie la mitsvah il se sent rempli d’amour propre et de contentement de lui-même. Le fait d’avoir accompli les ordres de D donne à l’homme une confiance en lui et un amour propre, il s’aime lui-même, il se sent en harmonie avec l’univers. Lorsque l’homme ressent cette amour pour lui-même et qu’il s’estime lui-même, puisqu’il est le serviteur de D, à ce moment là seulement, l’homme peut accepter la morale avec amour. La morale et l’éthique ne sont plus des claques qu’il prend en pleine gueule, ce sont des appels d’affection qui viennent de D. Par les actes rituels l’homme construit une maison pour D. D n’a pas besoin de maison pour lui-même, la seule raison pour laquelle D a besoin d’une maison, c’est pour pouvoir y inviter l’homme personnellement.
Ainsi, toutes les questions que nous avons posées plus haut sont résolues. Les lois de la torah ne peuvent venir qu’après les sacrifices, car l’homme doit se sentir appelé avec amour par la loi, s’il veut l’accepter de tout son cœur et ceci n’est possible que si D l’appelle personnellement dans sa maison, (c'est-à-dire dans le temple). Jonathan ben Ouziel nous explique que la raison pour laquelle la fumée remplissait le mishkan, c’était par amour pour le service de Moshe qui avait sanctifié les ustensiles du temple par ses actions. Moshe attend l’appelle, car il veut que D montre qu’il agrée ses actions, à l’image du feu qui venait dévorer les sacrifices, pour montrer l’amour de D pour les actions des hommes.
Le talmud montre que toutes les actions rituelles ont pour but de créer un amour narcissique de l’homme pour lui-même à travers son rapport à D. Le talmud dit (dans Berahot 6) que D met les tefillins et que dans les tefillins de D il est marqué « qui est comme ton peuple Israël etc. ». L’homme se repose chabath à l’image de D qui s’est « reposé » le sixième jour, en buvant le vin du kidouch, c’est comme si D buvait à sa place. Tous ces passages du talmud montrent que les mitsvoth rituelles permettent à l’homme de se sentir appelé personnellement par D dans une harmonie universelle.
Un commentaire de la torah le Toldot Itzhak dit « Le verset dit à propos de Bilame « et D vint à Bilame ». Il se trouve donc que D a donné plus d’honneur à Bilame, (en venant le voir dans sa maison,) qu’à Moshe, qui devait se rendre dans la maison de D. … et les sages ont donné une parabole à ce sujet : un roi veut parler avec un de ses esclaves, si il aime son esclave il demande à son esclave de venir le voir chez lui à la maison, mais si le roi n’aime pas cet esclave par ce qu’il est lépreux, c’est le roi qui se déplace, par ce que le roi ne voudrait surtout pas qu’un lépreux vienne dans son palais. Ainsi, D appelle Moshe et lui demande de venir le voir chez lui en lui montrant de l’affection, par contre il préfère aller voir Bilame, pour ne pas avoir à l’inviter chez lui. » Pour le midrash, les non juifs ont un rapport à D à travers l’intellect ; dans ce rapport, c’est D qui vient les voir chez eux, c’est un rapport plus directe qu’un rapport à D qui passe par le rituel. Mais, ce rapport, est un rapport difficile pour l’homme, car l’homme se sent agressé par l’intellect pur, il sent qu’il n’existe pas pour D. Ce rapport par l’intellect ne peut être qu’occasionnel. Le « je pense donc je suis » de Descartes, qui abouti à la démonstration de l’existence de D à travers l’idée d’une abstraction absolue, ne peut être qu’une expérience unique dans la vie d’un homme. Le discours de la méthode de Descartes ne peut pas être une manière de vivre. Voir D à travers l’idée ne permet à l’homme de vivre pleinement la morale.
Par contre, le rapport à D par le rituel est un rapport plus indirecte, il faut aller dans la maison de D. D n’est plus partout, mais il permet à l’homme de se sentir invité personnellement dans cette maison de D. Le but du rituel religieux c’est l’amour de soi. Et l’amour narcissique est une condition d’application de la morale.
Nietzche pense que tout rapport à la morale est un rapport sadomasochiste. A la base de toute morale il y a le « tu obéiras ! », pour Nietzche l’homme a besoin d’obéir à une loi pour avoir de l’amour propre. Si l’homme n’obéit pas, il n’arrive pas à s’aimer lui-même et à avoir du respect pour lui-même. Le fait que l’homme dépende de l’interdit pour s’aimer lui-même, c’est un rapport sadomasochiste envers soi-même. Nietzche pense que la seule manière pour l’homme de se libérer de cette relation sadomasochiste c’est la volonté de pouvoir.
La torah voulait justement détruire cette relation mortifère et sadomasochiste de l’homme avec la loi par les actes rituels religieux.
Pour la torah l’homme s’aime et D l’aime, non pas, par ce qu’il se conforme à la loi, mais uniquement par ce qu’il apporte à manger à D et qu’il l’imite en mettant les tefillins et en faisant chabath. Par l’acte rituel l’amour de soi ne dépend plus de la conformité à la morale, mais à l’amour que l’on a pour D. Ainsi le rapport à la morale n’est plus un rapport de dépendance sadomasochiste mais une expression de sa volonté propre.
C’est pour cela que l’on dit dans la prière du chabath et des fêtes « sanctifie nous par tes mitsvoth ». On sait que le mot sanctifier en hébreux cela veut dire créer un lien d’amour. Comme dit Nahmanide, D nous a sanctifiés par ses mitsvoth comme un mari sanctifie sa femme.
(Lors du mariage le mari dit a la femme : « tu es sanctifiée pour moi, par cette bague selon la loi de Moshe et d’Israël ») Dans toutes les autres demandes que nous faisons à D on ne mentionne pas un objet intermédiaire entre nous et D. On demande à D de purifier notre cœur, de nous donner notre part dans la torah de nous réjouir etc., il n’y a que dans le rapport à la sainteté que l’on demande à D de nous sanctifier par l’intermédiaire de quelque chose, en l’occurrence les mitsvoth. Car c’est à travers les mitsvoth que l’homme se sent aimé par D et appelé par lui personnellement.
Dans la torah il y a toujours un lien entre les bijoux et le temple ou l’idolâtrie, les juifs ont construit le veau d’or avec leurs bijoux et le temple portatif avec ceux de leurs femmes. Lorsque Moshe brule le veau d’or les juifs ne portent plus leurs diadèmes en signe de techouvah. Les bijoux montrent le rapport narcissique de l’homme avec lui-même, son amour propre. Lorsqu’il s’aime, l’homme se part de bijoux, pour se rendre hommage à lui-même. Ce rapport narcissique peut être soit de l’idolâtrie, un rejet du service à D, c’est le cas du veau d’or, soit une manière de servir D. comme dans le mishkan.
La différence essentielle qu’il y avait entre le mishkan et le veau d’or, c’est que dans le mishkan il y avait une représentation de la spiritualité et de la matérialité, le but du mishkan c’était de lier le matériel avec le spirituel. (La manne était posée dans la boite qui contenait les tables de la loi, le chandelier était mis avec la table des pains de présentations, l’autel était lui-même le symbole de l’ascension du matériel avec le spirituel). Alors que le veau d’or, était tout à fait spirituel, puisque c’était la face d’un des anges du trône céleste. (rav David Feinstein) Dans le veau d’or il n’y avait pas de « mouvement retour » qui montrait l’amour de D pour l’homme et le monde.
Le midrash dit que les femmes n’ont pas fauté dans le veau d’or, elles n’ont pas voulu donner leurs bijoux. D’un autre coté on voit que la torah a exempté les femmes de toutes les actions rituelles, comme les prières et les tefillins par exemple.
Rabi Yehudah Halevi l’auteur du Kouzari dit dans un de ses poèmes qu’une femme lorsqu’elle se maquille et qu’elle met des bijoux doit avoir la même intention qu’un homme lorsqu’il met les tefillins, et que parallèlement lorsqu’un homme met les tefillins il doit sentir qu’il met un diadème sur sa tête et un bracelet a ses bras.
Il semble que l’homme ait besoin d’une action rituelle pour faire le lien entre le spirituel et le matériel et que sans le rituel il ne sente pas une relation d’amour entre D et l’homme, alors que la femme semble capable de ressentir cette relation entre le spirituel et le matériel à travers la matérialité elle-même.
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