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  • Writer's pictureRav Uriel Aviges

Vaera 5774

Dans ce cours nous parlons de la manière dont l'amour se transforme en haine. Nous parlons aussi de l'origine de la haine antisémite et du lien existant entre l'idolâtrie et la haine de soi. La sortie d'Egypte est comparée dans le Midrash à la naissance d'un enfant sortant du ventre de sa mère. L’Egypte étant la mère qui a du mal à assumer l'indépendance de son enfant, Israel.

1- La dépendance et la haine

Au début de l’exode ont peut lire les versets suivants :

« Joseph mourut, ainsi que tous ses frères, ainsi que toute cette génération. 7 Or, les enfants d'Israël avaient augmenté, pullulé, étaient devenus prodigieusement nombreux et ils remplissaient la contrée. 8 Un roi nouveau s'éleva sur l'Égypte, lequel n'avait point connu Joseph. 9 Il dit à son peuple: "Voyez, la population des enfants d'Israël surpasse et domine la nôtre. 10 Eh bien! Usons d'expédients contre elle; autrement, elle s'accroîtra encore et alors, survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province." 11 Et l'on imposa à ce peuple des officiers de corvée pour l'accabler de labeurs et il bâtit pour Pharaon des villes d'approvisionnement, Pithom et Ramessès. 12 Mais, plus on l'opprimait, plus sa population grossissait et débordait »

Ce passage de la torah pose problème, car dans le verset 9 on a l’impression que le roi d’Égypte a peur de la puissance et de la taille du peuple juif il dit « "Voyez, la population des enfants d'Israël surpasse et domine la nôtre », le roi pense que les juifs risquent de prendre le pouvoir en Égypte, il devrait en résulter le désir de départ des juifs. Pourtant dans le verset 10 on apprend avec surprise que c’est le contraire qui est vrai, en effet dans le verset 10 pharaon dit « ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province. », dans le verset 10 il apparait clairement que la plus grande hantise de pharaon c’est le départ des juifs ! Ceci parait complètement incohérent.

Le comportement de pharaon devient encore plus surprenant lorsqu’il demande aux sages femmes de tuer tous les nouveau nés males juifs. Si pharaon ne peut pas vivre sans les juifs, alors comment ce fait il qu’il veuille les exterminer ? 

Dans ce texte la torah nous montre que l’amour et la haine sont deux sentiments corrélés, on ne peut pas haïr sans aimer, ni aimer sans haïr. Pharaon aime les juifs c’est pour cela qu’il veut les détruire. Comme disait Nietzche on ne peut pas haïr quelqu’un que l’on pense inferieur à soi, on ne peut haïr que quelqu’un que l’on pense supérieur ou égal.  

A travers ce texte, la torah nous décrit le fonctionnement du mécanisme qui conduit de l’amour à la haine. Pharaon se sent dépendant des juifs, il pense que les juifs sont le moteur de la société égyptienne. C’est bien à pharaon qu’était adressé le rêve qui allait fonder la puissance de l’Égypte, mais il était incapable de le comprendre et d’en tirer des conclusions pratiques. Il a fallu que Josef interprète le rêve de pharaon, il a fallu que Josef révèle à pharaon l’intimité de son potentiel, pour que pharaon soit capable de fédérer le pays en le transformant en une grande puissance économique. 

Sans Josef, pharaon aurait été le roi d’un pays dévasté par la famine, il aurait surement été renversé par son peuple. Grace à Josef, pharaon est devenu l’homme le plus puissant du monde. Cependant pharaon ressent une dépendance envers les juifs et à la famille de Josef, c’est pour cette raison qu’il les empêche (depuis leur arrivée) de quitter le pays. Pharaon voulait même empêcher Josef d’aller à l’enterrement de son père, même lorsque Josef meurt, pharaon ne veut pas que la momie de Josef sorte de la terre d’Égypte. Pharaon se sent entièrement dépendant du peuple hébreu. 

Le sentiment de dépendance envers les juifs va se transformer en haine. La raison de ce basculement tient au fait que si pharaon se sent dépendant des juifs, il ressent aussi que les juifs eux ne se sentent pas dépendant de pharaon. Pour le moment, les juifs ne semblent pas vouloir partir, mais s’ils le veulent ils peuvent partir à tout moment. La relation entre pharaon et les juifs est déséquilibrée. 

Si les juifs s’étaient sentis dépendants de pharaon et de l’Égypte, comme c’était le cas au moment de la famine, alors, pharaon n’aurait jamais haï les juifs, au contraire, il les aurait aimés. Mais comme la famine est finie et que les juifs peuvent partir à tout moment, pharaon ne peut plus supporter sa dépendance, il est obligé d’enfermer les juifs de les faire souffrir pour les sentir à sa merci, ce n’est qu’à cette condition que le sentiment de dépendance de pharaon devient tolérable.

Tout ce mécanisme éclaire le sens littéral des premiers versets de l’exode et le comportement de pharaon. Pharaon veut faire d’Israël un peuple féminin faible et dépendant, c’est pour cette raison qu’il demande de tuer les mâles et de garder les filles en vie. 

Lorsque dans un couple un des membres est possessif et jaloux cela indique qu’il se sent dépendant de l’autre et qu’il ne sent pas que cette dépendance est partagée, si ce sentiment de déséquilibre grandit, la jalousie se transforme en haine.

2- Dépendance à autrui et haine de soi.

Cette constatation nous amène à nous poser une autre question : si pharaon est le monarque le plus puissant de son époque, si l’économie égyptienne est florissante, si les réserves de blé sont pleines, alors pourquoi pharaon se sent-il dépendant des juifs ? 

Il est évident que la dépendance de pharaon n’est pas une dépendance matérielle, pharaon est le maitre du monde matériel. Pharaon se sent dépendant spirituellement des juifs. Qu’est que cela veut dire ?

En fait pour se sentit dépendant, il faut avant tout se sentir coupable d’exister. Pharaon à besoin d’une raison d’être, il doit justifier son existence par un but. Paradoxalement pharaon pense que ce sont les juifs, c'est-à-dire la création de l’état hébreux qui justifie son existence.

Le midrash, (rapporté de nombreuse foi par le Maharal de Prague dans son livre sur la sortie d’Égypte « les puissances de D »,) explique que la sortie d’Égypte est comparable à la sortie d’un enfant du ventre de sa mère.

L’Égypte est la mère du peuple d’Israël, c’est en Égypte que la petite famille de Jacob est devenu un peuple nombreux. Il est évident que toutes les mères de la nation juive sont d’origine égyptienne, puisque Jacob n’a eu qu’une seul fille et une seule petite fille. L’Égypte était l’incubateur de la nation juive. Pharaon est représenté comme la mère d’Israël. C’est le sens de l’histoire qui veut que Moshé ait été élevé par la fille de pharaon. Dans la littérature rabbinique il est écrit que l’âme de Moshé représentait l’âme de la totalité d’Israël, en fait, lorsque la torah dit que Moshé a été élevé par la fille de pharaon, la torah veut nous dire, que c’est tout le peuple d’Israël qui a été élevé par des femmes égyptiennes. Pharaon se sent comme la mère d’Israël.

Pharaon est une mère possessive et castratrice. Pourquoi ? Par ce pharaon comme nous l’avons dit se sent coupable d’exister, il ne peut justifier son existence que par le fait qu’il a donné naissance à Israël et qu’il l’a fait grandir. Or, cette dépendance est invivable pour lui, c’est pour cette raison qu’elle se transforme en haine comme nous l’avons expliqué dans le paragraphe précédent.

Lorsqu’une mère est possessive envers ses enfants, c’est par ce qu’elle se sent coupable d’exister et qu’elle ne peut justifier son existence que par le fait qu’elle a donnée naissance et fait grandir ses enfants. 

Cette dépendance spirituelle que la mère vit envers ces enfants, entraine un désir possessif et castrateur qui a pour but de rendre l’enfant dépendant de la mère et d’équilibrer la relation. La encore, si le sentiment de dépendance reste unilatéral, la dépendance peut se transformer en haine.

3- la justification inacceptable : le point aveugle

Il reste encore à éclaircir un point, pourquoi chez pharaon la justification de soi, doit elle passer par l’autre ?

Je m’explique, disons que pharaon se sente coupable d’exister et qu’il pense pour cette raison qu’il doive justifier son existence, pharaon pourrait très bien trouver la justification de son existence par un but qui exprimerait son intériorité propre, dont il serait le seul acteur. Pharaon pourrait justifier son existence par la création artistique, l’action politique, le développement économique, la magie, ou dix milles autres activités créatrices et épanouissantes. Pourquoi pharaon pense-t-il qu’il ne peut justifier son existence que par son rapport à l’existence de peuple d’Israël ?

Ici, il faut éclaircir un nouveau nœud de la psychologie humaine, le point aveugle. Avant d’expliquer le rôle du point aveugle dans la construction identitaire, je vais d’abord donner un exemple de point aveugle.

Victor Hugo aimait les femmes fortes, il disait « dans la plus belle femme il y a un squelette, nous aimons lorsque celui-ci est bien enrobé», pourtant, dans tous les romans de Victor Hugo, le héro, toujours assez âgé est amoureux d’une très jeune fille très maigre, presque une préadolescente. Cela signifie que lorsque Victor Hugo écrit un roman, il ne s’identifie pas au personnage qu’il met en scène, mais, il met en scène le point aveugle autour duquel sa personnalité est construite.

En fait, le désir de Victor Hugo est construit autour d’un sentiment de désir et de répulsion pour les préadolescentes (et surement les enfants encore plus jeunes), dans le monde du réel, Victor Hugo aime les grosses femmes matures, mais la raison pour laquelle, il aime les grosses, c’est par ce qu’il a un rapport inavouable et inacceptable de dégout mélangé à du désir pour la pédophilie. La pédophilie est le point aveugle autour duquel une partie de l’identité de Victor Hugo se construit.

Tout un chacun, construit son identité autour d’un point aveugle de révulsion et de désir, Lacan comparait le rapport à ce point aveugle au rapport que l’homme a avec l’orgasme dans les rapports sexuel, d’un coté on désir l’orgasme d’un autre cote on cherche à le retarder le plus possible. (Ce point aveugle fondateur de l’identité n’est pas directement lié au désir sexuel, j’ai pris cet exemple chez Victor Hugo, pour rendre l’idée plus tangible.)

Lorsqu’un homme se sent dépendant d’un autre, c’est par ce qu’il retrouve chez l’autre (ou bien qu’il projette en l’autre) ce point aveugle autour duquel il a construit son identité et sa personnalité.

Lorsqu’un homme tombe amoureux d’une femme ou vice versa, c’est par ce qu’il retrouve chez l’autre cette justification inavouable autour de laquelle il a bâti et il continue de bâtir son identité. C’est pour cette raison que la relation amoureuse est une relation de dépendance, lorsque la dépendance est partagée alors, on à affaire à une relation passionnée viable, par contre, lorsque la dépendance n’est pas partagée, la relation se transforme en une relation possessive puis en haine.

Pour reprendre l’exemple de pharaon et sa relation avec le peuple d’Israël, il est clair que pharaon avait un certain rapport avec la divinité, il fait des rêves prophétiques, D communique avec lui, mais, il est également certain, que d’un autre coté, le rapport a D est parfaitement inacceptable pour lui. Pharaon a le même rapport avec le D d’Israël qu’un homme avec l’orgasme. 

On voit bien que pharaon cherche à retarder la conclusion de son débat avec D, c’est pour cette raison qu’il change constamment d’avis, pharaon n’a pas peur de mourir ou de perdre, il a avant tout peur de perdre tout contacte avec D. C’est pour cela qu’il fait durer le plaisir tant qu’il peut. Mais, parallèlement, on voit bien que pharaon déteste D, qu’il ne peut pas l’écouter qu’il ne peut même pas envisager son existence. Pharaon entretien avec D le même rapport que Victor Hugo entretient avec la pédophilie.

C’est pour cette raison que pharaon est dépendant de Josef, de Moshé et du peuple d’Israël, car à travers ces médias, il trouve la justification de sa vie, une justification inavouable qu’il ne pourrait pas s’attribuer de manière directe.

L’amour passionnel est la projection sur l’autre d’un point ambivalent autour duquel on a construit son identité, de ce fait l’amour passion reste un amour narcissique, et une fermeture sur l’autre. C’est ce qui explique que l’amour passionnel de pharaon pour les juifs entraine sa volonté de les exterminer.

4- Idolâtrie et haine de soi

Nous avons vu que la racine du rapport narcissique est la nécessité de justifier son existence. C’est-à-dire que la fermeture à l’autre vient justement du fait que l’on a besoin justifier son droit à exister (c’est pour cela qu’il faut voir dans ce texte la réfutation la plus radicale possible de la philosophie morale de Levinas).

Le judaïsme enseigne au contraire que l’homme doit prendre sa vie comme un don de D qui n’a pas à être justifié. L’homme n’a pas à se demander si il a le droit d’exister, ou pourquoi il existe, l’homme existe par ce que D le veut.

Pour le judaïsme, l’homme n’a pas besoin de médiatiser son rapport à D par une idole ou un discours rationnel. Appréhender un rapport direct à D, un rapport non médiatisé par les images, cela veut dire accepter la vie comme une révélation spontanée et évidente de l’existence de D.

Les « hukim », les lois non rationnelles de la torah ont pour but de créer une instantanéité de la présence de D dans le monde. Le talmud compare la difficulté à donner un sens à certain commandements de la torah, à l’incompréhension que l’homme ressent devant le fait de devoir manger. Pourquoi doit-on faire chabath, on ne le sait pas, mais pourquoi doit-on manger on ne le sait pas non plus. (Betsah 16a). 

Le peuple juif agace les nations par ce qu’il s’autorise le droit à exister, sans revendiquer une justification morale quelconque. Le peuple juif n’a jamais dit qu’il été supérieur aux autres, pourtant les non juifs perçoivent les juifs comme étant arrogants, uniquement par ce que ce peuple n’éprouve pas la nécessité de justifier son droit à exister aux yeux des nations.

Les nations ont besoin de justifier leur existence par des valeurs ou des discours, des réalisations artistiques ou scientifiques. Chaque années, les états unis, la Russie et la chine et l’Europe dépense des milliards de dollars pour envoyer de grandes boites de conserves dans l’espace, juste pour se donner l’impression d’exister pour faire quelque chose. Les nations inventent des valeur- idoles, des coquilles vides et caduques, pour s’autoriser à vivre. L’Amérique existe pour la liberté, l’Europe existe pour l’égalité, la chine existe pour donner un centre du monde. Israël existe simplement par ce qu’il existe, et ça, ça fait chier tout le monde.

Le rapport direct et spontané à l’existence du monde et à D, est le point aveugle nécessaire à l’articulation de toute idéologie et de toute idolâtrie. Car, tout idolâtrie et tout idéologie se veut l’expression d’une valeur absolue qui dépasse l’homme. Le peuple d’Israël symbolise pour les nations cette relation à l’eternel surhumain absurde et absolu. Les non juifs savent qu’ils ne peuvent pas vivre sans les juifs, mais ils savent aussi que les juifs sont une négation vivante de leurs idoles.

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