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Writer's pictureRav Uriel Aviges

Terouma 5769


La parasha de la semaine parle de la mitswah de construire le tabernacle, le temple portatif utilisé par les juifs dans le désert.

Beaucoup de commentateurs s’interroge sur le sens de la mitswah de construire le tabernacle pour D. On sait que l’interdit de représenter D est l’un des interdits les plus fondamentaux du judaïsme, on sait aussi que l’unité de D, est un des grand fondements de la torah, alors pourquoi D aurait-il demandé de construire un temple, avec deux statues qui se font face à l’intérieur?

De plus on peut s’arrêter sur un paradoxe dans le rôle du tabernacle. En effet, d’une part la torah nous dit que le tabernacle n’était pas une maison pour D, car D est partout, il est plus large que l’univers, donc cette maison était une gloire pour l’homme, car le tabernacle représentait le lien qui unissait D à Israël, et à travers Israël à toute l’humanité. C’est le sens des chérubins qui se faisaient face en s’enlaçant sur l’arche sainte, selon le talmud dans Yomah, un des chérubins représente Israël et l’autre représente D, il y aurait donc un message humaniste dans le temple.

Cependant, un deuxième aspect du tabernacle, est qu’il symbolisait l’acte désintéressé de l’homme, ou l’individu doit s’effacer complètement devant la loi. Le Tana Devei Eliaou dit que D a décidé la construction du temple, lorsqu’il a vu le sacrifice d’Isaac, selon le Tana Devei Eliaou, les sacrifices journaliers faits au temple, ne sont que des simulacres qui rappellent tout les jours le seul véritable sacrifice qui est celui d’Isaac. (C’est pour cela que le matin dans la prière ont lit le passage du ligotage de Isaac avant de réciter les lois des sacrifices).

Le but de cette étude est d’essayer de montrer le lien qui existe entre le don gratuit de l’individu pour la loi, et l’humanisme, ainsi que de montrer que ce lien passe par la tentative d’une représentation physique de D.

1- La construction du mishkan c’est le don gratuit

Rav Haim Chmulevits explique que le Beth Hamikdash ne pouvait être construit que lorsque les juifs n’avaient aucun intérêt dans sa construction. En effet Salomon dit à Hiram le roi de Tyr lorsqu’il lui demande des matériaux et de la main d’œuvre pour construire le temple “mon père David n’a pas pu construire le temple, par ce qu’il était constamment occupé par les guerres”.

Or dans le livre de Samuel le prophète nous raconte que David a voulu construire le temple lorsqu’il avait réussit à détruire ses ennemis, mais D le lui a interdit, alors pourquoi Salomon donne-t-il une fausse raison a Hiram.

De plus Hiram répond au message de Salomon, en disant qu’il est impressionné par la sagesse de Salomon, et qu’il est heureux que le peuple d’Israël ait un roi aussi sage que Salomon. Ceci est très étonnant, par ce que l’on ne voit pas vraiment qu’est ce que Salomon a dit de si intelligent.

De plus, Hiram était un ami intime de David, et son voisin, puisque c’était le roi de la Syrie ou du Liban actuel, Hiram devait donc être parfaitement au courant de la politique régionale, et il devait savoir que David n’était pas constamment en train de faire la guerre et que si il avait voulu il aurait pu construire le temple. Comment comprendre donc ce passage du Livre des Rois?

Rav Haim Chmulevits explique que Salomon voulait expliquer à Hiram, que bien que David ait été victorieux de ses ennemis, malgré tout, le pouvoir de David n’était pas assez établi pour qu’on lui permette de construire le temple. David aurait eu un intérêt à construire le temple, car le temple serait devenu une source de mérite supplémentaire pour Israël. Ces mérites auraient pu provoquer l’aide de D ce qui aurait permis d’assoir le pouvoir politique de David et d’Israël dans la région. Or, la construction du temple ne peut être qu’un acte totalement désintéressé, seul Salomon avait un pouvoir assez établi dans la région, pour n’avoir aucun intérêt à construire le temple. C’est ce que Hiram a compris et c’est pour cela qu’il répond qu’il se réjouit de la sagesse de Salomon qui comprend qu’un temple pour D, ne peut avoir un sens que dans une période de paix et de stabilité universelle.

C’est aussi ce que les versets nous disent au début de la parasha, “tout homme qui veut offrir sont cœur peut apporter un prélèvement pour le temple”, celui qui voulait donner un don devait le faire sans aucun intérêt comme si il apportait son propre cœur.

2- La déprise de soi et la conscience de D.

Il faut cependant comprendre en quoi le mishkan est spécifiquement différent des autres mitswoth de la torah, pour que D commande qu’il soit fait sans aucun intérêt.

En ce qui concerne les autres mitswoth le talmud dit “il vaut mieux faire la torah et les mitswoth même si on est motive par un intérêt, car a force de faire les mitswoth avec un intérêt on arrivera à les faire même lorsque l’on a plus aucun intérêt”, (Sotah 22, 47 Pesahim 50 etc.) Pourquoi cette règle du talmud ne pouvait pas s’appliquer a la construction du mishkan?

Pour répondre à cette question il y a lieu de s’interroger sur la définition d’un autre concept celui de “chehinah”, la présence divine, ou la résidence divine. Le Halshih sur la parasha s’interroge beaucoup sur la nature du concept de chehinah, le Halshih se demande comment est ce que l’on peut dire que D réside dans le temple alors que D englobe l’univers entier?

Le Halshih explique que par l’intermédiaire du tabernacle D va résider dans l’homme lui même, comme le verset dit “il me construiront un temple et je résiderai en eux”. Pour le Halshih, la chehinah c’est la prise de conscience par l’homme de la présence de D dans le monde.

On comprend ainsi, que cette conscience de la présence de D ne peut venir que par une déprise de soi même. C’est lorsque l’homme sort de ses intérêt propre et qu’il s’extériorise a lui même, qu’il peut prendre conscience de D. C’est pour cela que le fait même de faire un acte gratuit et de se sacrifier soi même, c’est en soi une prise de conscience de D.

On comprend donc, que puisque le but du mishkan était de faire descendre la chehinah, il fallait, par essence que l’acte constructeur soit une déprise de soi, c’est à dire un acte gratuit.

Nahmanide dit que lorsque l’homme arrive à contrôler sa colère et sa pulsion par la raison, il ressent la chehinah, car la chehinah c’est une déprise de soi.

On comprend aussi pourquoi dans le tabernacle il y avait deux chérubins, un qui symbolise D et l’autre l’homme, par ce que l’on ne peut prendre conscience de D que lorsque l’on prend conscience de soi même dans le même niveau d’étrangeté, “de tout autre”, avec lequel on appréhende D.

Prendre conscience de D, faire descendre la chehinah, c’est être capable de faire un acte totalement désintéressé. C’est aussi le sens des prières rituelles qui remplacent les sacrifices par ce qu’elles ont pour but la prise de conscience de la présence de D dans le monde par l’homme. C’est à dire faire descendre la chehinah.

3- La vengeance et la connaissance de D et le mishkan.

Le talmud dans Berahot 33 met en relation trois éléments par ce qu’ils sont entourés dans la bible par deux formes du nom de D: la connaissance, le Beth Hamikdash et la vengeance. Les commentateurs du talmud explique longuement le rapport entre la connaissance et le Beth Hamikdash en disant que le but du Beth Hamikdash c’était la connaissance de D. Cependant le lien entre la vengeance et le Beth Hamikdash parait plus difficile à concevoir.

La vengeance est souvent vue sous un jour positif dans la torah, on sait que Eliaou (qui égorge 400 prophètes du baal) et Pinhas (qui transperce de sa lance le juif qui a des rapports publiquement avec une non juive) vengent la vengeance de D et qu’ils reçoivent la vie éternelle pour cela. On a vu que David demande à son fils Salomon de venger son honneur en tuant Chimi Ben Guerra, on reproche à Saül de ne pas avoir voulu se venger des personnes qui se moquaient de lui le jour ou il a pris le pouvoir.

On a vu que Jacob se réjouit de se laver les pieds dans le sang du racha qui est Esaü, et que le verset des Psaumes dit “le juste se réjouit lorsqu’il voit la vengeance, il se lave les pieds dans le sang du racha”. On peut même dire que la différence essentielle entre le judaïsme et le christianisme c’est le rapport à la vengeance.

Le D d’Israël est un D de vengeance, D se venge des égyptiens en les jugeant, il va juger lors de la venue du messie toutes les nations qui ont asservi Israël, comme le dit le verset des Psaumes au sujet de la Babylonie “heureux est celui qui fracassera la tête de tes nourrissons sur des rochers”.

(Cette vision positive de la vengeance dans le judaïsme a été amplement développée par rav Haim Chmulevits, le roch yeshivah de Mir dans ses discours qui sont aujourd’hui traduits en français et en anglais, l’idée du don gratuit comme essence de la construction du mishkan est aussi de cet auteur.)

Le véritable reproche que l’on peut faire à Levinas, c’est, que sur ce point, il a tenté de falsifier le message du judaïsme pour en faire une sorte de christianisme rampant; Levinas n’envisage jamais le rapport à la justice sous l’angle de la vengeance.

Pour le talmud, qui se base sur ces passages de la bible, lorsque la torah condamne la vengeance elle ne le fait que lorsque la vengeance est injustifiée, c’est à dire qu’il n’y a pas eu d’injustice de la part de l’autre.

Par exemple, si j’ai demandé un prêt d’argent à quelqu’un et qu’il me l’a refusé, si par la suite c’est lui qui me demande un prêt, je n’ai pas le droit de refuser pour me venger. Par ce que dans ce cas précis, l’autre n’a rien fait d’injuste contre moi, il n’était pas obligé par la loi de me prêter de l’argent. (Moi aussi, je ne suis pas tenu de prêter l’argent à tout le monde, mais si je ne prête pas à la personne uniquement dans le but de me venger, alors, je transgresse un interdit), par contre si quelqu’un me frappe, je peut me venger et le frapper, par ce qu’il y a une injustice au départ. Ce n’est pas ce que Jésus disait.

4- La vengeance auto destructrice

Pourtant, le talmud dans Sanhedrin 102 montre bien que la vengeance est auto destructrice et qu’elle détruit aussi bien la personne qui subie la vengeance que celui qui se venge. Le livre des rois nous raconte l’histoire de Naboth qui a été assassiné par le roi Ahab. Le roi voulait le terrain de Naboth pour agrandir son palais, comme Naboth refusait de vendre sa vigne alors le roi l’a fait assassiner. Peut de temps après la bible nous raconte qu’un prophète, Tsidikiah Ben Kenana, est venu voir Naboth en lui apportant deux épées et en lui disant “avec ces épées tu vas transpercer Aram”, un roi ennemi.

Sur les conseils de ce prophète le roi Ahab part en guerre, mais il est tué par son ennemi. Le talmud se demande d’où est partie la fausse prophétie qui assurait la victoire à Ahab. Le talmud répond que cette prophétie avait été envoyée par l’âme de Naboth pour se venger. Mais le talmud continue en disant que D a dit à Naboth que si il se vengeait il perdrait sa part dans le monde futur, par ce que celui qui ment ne peut pas rester proche de D, mais l’âme de Naboth a répondu “je préfère perdre ma part au monde futur et accomplir ma vengeance, plutôt que de vivre éternellement sans me venger”. Et le talmud conclu en disant que cette histoire illustre le proverbe qui dit “celui qui se venge détruit aussi sa propre maison”.

Ce passage du talmud est tout à fait éclairant sur la nature de la vengeance, car on sait que les âmes dans le monde futur n’ont pas de mauvais penchant, si l’âme de Naboth recherche la vengeance, et que D permet à Naboth de l’exécuter, cela montre bien que la vengeance n’est pas liée au plaisir matériel de ce monde, mais que la vengeance est un plaisir spirituel qui est plus grand que le plaisir du jardin d’Eden. Or, le talmud dit ailleurs que les plaisirs du monde futur son plus grand que tous les plaisirs de ce monde, il semble pourtant que la vengeance soit un plaisir infiniment supérieur à celui du monde futur, bien qu’il cause sa propre destruction, comment est ce possible?

5- La vengeance comme rapport au divin

On peut envisager une réponse lorsqu’on lit le dernier livre de John Elster Schlitta sur le désintéressement. Il montre que la vengeance est le seul acte humain ou l’homme agit contre son intérêt économique. Il explique que le fait que l’homme cherche à se venger, même à son propre détriment, comme le dit le talmud, montre que l’homme a un sens de la justice qui dépasse celui de l’intérêt personnel. C’est dans la vengeance que l’homme sent la symbiose qui lie son existence avec la justice universelle. C’est pour cela que le mishkan est mis en relation avec la vengeance, car dans les deux cas il y a une déprise de soi et de son intérêt propre, pour s’ouvrir à une loi transcendante.

6- Le paradoxe de la représentation de D dans le temple.

Les textes disent clairement que D n’a pas besoin du temple, que seuls les hommes en ont besoin. Comme nous l’avons dit dans l’introduction, le mishkan symbolise l’amour de D pour Israël. Le Beth Hamikdash est appellé par les juifs “la maison de notre gloire”, c’est à dire que le temple est une gloire pour Israël plus que pour D.

Comment comprendre que la gloire que D veut donner à l’homme passe justement par une négation de l’individu lui même?

De plus le sacrifice de soi, qui représente la véritable annulation de la volonté de l’homme, ne devrait pas avoir pour résultat la construction d’un temple qui semble être au contraire une reproduction divinisée de la vie humaine, une sorte d’anthropomorphisme. Comment comprendre cet aspect du mishkan qui semble contredire l’idée de la déprise de soi?

Dans l’arche sainte du tabernacle il y avait les tables de la loi, et un rouleau de la torah, dans la torah il est marque tu ne feras pas de représentation des anges ou de D. Pourtant sur l’arche sainte il y avait les statues de deux anges. Pourquoi faire une boite en or pour y déposer la loi, et ensuite la transgresser à travers cette boite même, qu’est ce que cela voulait dire?

7- Amour et pardon

Maimonide pense que le temple avait été commandé par D après la faute du veau d’or par ce qu’il avait vu que les juifs ne pouvaient pas vivre sans une représentation de D. Pourtant dans les temps messianiques on nous dit que le temple sera reconstruit, pourquoi puisque ce n’est qu’un pis allé?

Gérard Bensoussan dans son livre éthique et politique, explique qu’une loi qui serait applicable d’emblée par l’individu ne serait pas viable pour l’homme. Cette loi ne serait pas une éthique, cela serait uniquement un code pénal. Ce qui est vraiment attrayant dans la loi, pour l’individu, c’est le fait qu’il sait qu’il ne peut pas l’accomplir de manière parfaite dans un premier temps.

Par contre, lorsqu’une loi est applicable de prime abord, l’homme se sent enfermé par elle, puisque son comportement est déjà déterminé et défini de manière inaltérable. Pour que l’homme aime D et la torah, il fallait montrer que D admettait la non perfectibilité de l’homme, qu’il savait que l’homme avait besoin d’idoles, il fallait que l’homme soit conscient qu’il n’arriverait jamais à accomplir la torah parfaitement. Ce n’est que lorsque l’homme sait que D accepte ses défauts, que l’homme peut être capable de tout donner à D de manière gratuite.

(Le même raisonnement est vrai dans les rapports à l’autre, ce n’est que lorsque l’homme sait qu’on lui permet tout, qu’il peut être capable de se sacrifier et d’aimer.)

Si on reprend le passage du ligotage d’Isaac, on comprend que si Avraham a voulu tuer Isaac et qu’Isaac a été prêt à se sacrifier lui même, ce n’était que parce qu’il savait que D ne demandait pas vraiment de le faire. Puisque Avraham et Isaac étaient libres de ne pas faire le sacrifice, ils étaient capables tout donner à D de bon cœur.

Ainsi, lorsque le talmud dit que l’homme qui amène un sacrifice au temple doit considérer qu’il s’amène lui même en sacrifice, ce n’est pas un simulacre. C’est par ce que D est prêt à se satisfaire du don d’un animal, bien que l’homme lui doive tout, et que D ne demande rien d’autre de l’homme que ce petit don, c’est par cette prise de conscience que l’homme devient capable de faire un acte gratuit par amour pour D, et de tout lui donner.

D n’avait pas besoin du temple, mais l’homme avait besoin de représenter son rapport à D, pour pouvoir être capable de se donner gratuitement à D, et faire résider D en lui.

8- Vengeance et pardon

On comprend donc que le mishkan est le lieu du pardon, puisque dans la construction même du mishkan D accepte la faiblesse de l’homme comme une donnée inaltérable. Dans la Haggadah de Pessah nous finissons le passage de Dayenou en disant “et il nous a construit le temple pour pardonner nos fautes”, on voit bien que le but principal du temple c’est le pardon. Pourtant dans le même temps, le mishkan est lié à la vengeance, et à l’amour de la justice transcendante. Ceci s’explique par le fait que l’on ne peut aimer la justice et le désintéressement que si on accepte le pardon et la faillibilité de l’homme d’abord. On ne peut pas envisager le plaisir de la vengeance, et l’amour de la justice sans envisager le pardon d’abord. Mais le pardon doit avoir pour but de motiver l’amour de la justice. C’est ce qui explique que la torah d’Israël peut magnifier la vengeance tout en glorifiant le pardon. Si quelqu’un ne croit pas à la vengeance, cela prouve qu’il ne croit pas au pardon ou à la grâce.

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