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  • Writer's pictureRav Uriel Aviges

Vayera 5772

(Vidéo en 2 parties)

Rabi Abahou dit au nom de rabbi Eliezer : « pourquoi Abraham a-t-il été puni et ses enfants ont ils été asservis en Égypte pendant 210 ans ? » rabbi Yohanan dit « c’est par ce qu’il a refusé de faire rentrer des hommes sous les ailes de la chehinah, comme le verset dit « donne moi les âmes et prend toi l’argent ! ». (Talmud de Babylone traitée de Nedarim 32a)


Lorsqu’Abraham a gagné la guerre contre les 4 rois, il aurait pu prendre le contrôle de Sodome, il aurait pu « prendre les âmes de Sodome » et instaurer dans la ville une loi juste et équitable. Il aurait pu rendre au roi de Sodome son argent et garder les âmes des habitants de Sodome. Mais Abraham n’a pas profité de sa victoire militaire pour convertir les gens de Sodome au judaïsme. Il a dit au roi de Sodome, reprend tes biens et garde les âmes aussi. C’est cette décision d’Abraham qui condamne les juifs à l’exil.

Le talmud dit en effet : rabbi Eliezer dit D a exilé les juifs parmi les nations uniquement pour qu’ils soient rejoints par des convertis, comme le verset dit « et je les sèmerais à travers la terre », or un homme ne sème jamais une « seah » (une seah équivaut à 10 litres) que pour récolter plusieurs « courim » (un cour équivaut à 300 litres). Rabbi Yohanan dit on peut l’apprendre du verset suivant : « et j’aurais pitié de ceux dont je n’avais pas pitié » (Psahim 87b)

Puisqu’Abraham refuse d’utiliser son pouvoir politique pour transmettre les valeurs du judaïsme, ces valeurs ne pourront être transmises qu’à travers l’exil. Il faut cependant comprendre la raison qui a pousse Abraham à abdiquer son pouvoir politique. Abraham avait été envoyé dans le terre d’Israël en vu d’y propager la croyance monothéiste (Maimonide dans les lois de l’idolâtrie).

Grace à sa victoire militaire Abraham avait la possibilité de réaliser l’idéal messianique et d’établir un royaume juste et équitable dans la terre d’Israël. Alors, pourquoi Abraham décide-t-il de tout abandonner au moment même où il avait toutes les cartes dans les mains ?

Les commentaires disent qu’Abraham n’a pas voulu tirer profit de la bataille de Sodome, par ce qu’il ne voulait pas profiter d’un miracle. La victoire d’Abraham sur les quatre rois était totalement miraculeuse et inattendue. Abraham voulait simplement libérer Loth en cachette durant la nuit, et miraculeusement il a réussi mettre en déroute toute l’armée ennemie.

Abraham a vécu cette victoire comme un traumatisme par ce qu’elle est advenue par hasard. Si Abraham avait fait cette guerre dans l’intention de libérer la terre d’Israël et d’éradiquer un gouvernement injuste et idolâtre, dans ce cas, il aurait profité de sa victoire pour devenir le messie.

Mais, puisque cette guerre n’était pas préméditée, Abraham n’a pas voulu tirer profit de cette victoire. Ce qui différencie Abraham de tous les autres prophètes et de tous les autres personnages biblique c’est qu’il va au devant de D. Le verset dit « D dit à Abraham : va au devant de moi ».

Abraham devait prendre l’initiative de l’histoire et aller au devant de D, il ne devait pas récupérer de manière passive des événements miraculeux. La vocation d’Abraham était de justifier la place active de l’homme dans le déroulement de l’histoire.

Plusieurs midrashim interprètent la mission d’Abraham dans ce sens. Le midrash Tanhouma dit que lorsqu’Abraham s’est circoncis avec tous les siens il a fait un tas avec tous les prépuces et un fleuve de sang est sorti du tas de chair, les anges ont dit « mais pourquoi as tu créé les hommes, leur sang pue plus que celui des animaux et des insectes ! » et D a répondu « cette odeur est plus agréable pour moi que n’importe quelle encens ». A cette occasion D commande aux anges d’aller visiter Abraham.

Abraham est celui qui rétablit l’importance de l’homme face à D, il marche au devant de D indépendamment de D.

Il est cependant difficile de comprendre quelle est l’importance de l’homme si on fait abstraction de son devoir envers D.

Sans D, l’homme n’est qu’un comédien qui joue un rôle social auquel il est fondamentalement étranger. Le récit de la visite des anges chez Abraham peut nous éclairer sur le la nature de l’humanisme d’Abraham. Lorsque les anges se présentent à Abraham ils se présentent sous l’aspect d’êtres humains. Il y a une contradiction dans le commentaire de Rashi à savoir si Abraham avait compris que les étrangers étaient des anges ou s’il pensait qu’ils étaient des hommes.

Dans le verset 4 il est écrit: « Je vais apporter une tranche de pain, vous rassasierez votre cœur, puis vous poursuivrez votre chemin, puisque aussi bien vous avez passé près de votre serviteur." Ils répondirent: "Fais ainsi que tu as dit" ». Et Rashi commente « Rabi ‘Hama a enseigné : Il n’est pas écrit « levavkhem » « vos cœurs », mais « libekhem », « votre cœur » pour t’apprendre que les anges ne sont pas dominés par le penchant au mal, [le double Beth de levavkhem symbolisant le double penchant, au bien comme au mal] (Beréchith Raba 48, 11). » ce commentaire de Rashi indique qu’Abraham avait compris que les invites étaient des anges. Pourtant il leur propose à manger comme si ils étaient des êtres humains.

On retrouve cette ambiguïté à la fin de la visite des anges. Après que les anges eurent annoncé à Sarah qu’elle allait avoir un enfant l’an prochain, et après qu’ils aient guéri Abraham miraculeusement ; dans le verset 16, il est écrit « Les hommes se levèrent et fixèrent leurs regards dans la direction de Sodome; Abraham les accompagna pour les reconduire. » et Rashi commente : « Les raccompagner (lechal‘ham – littéralement : « pour les renvoyer ») Ce verbe a ici le sens de « raccompagner », Abraham pensant qu’ils étaient des gens de passage». Ce commentaire de Rashi semble contredire le commentaire cité précédemment, puisqu’il stipule clairement qu’Abraham n’avait pas compris que les invités étaient des anges. De plus, ce Rashi est étonnant, comment Abraham pourrait il croire que les anges sont des hommes de passage alors qu’ils l’on guéri miraculeusement et qu’ils lui ont promis qu’il allait avoir l’an prochain un enfant (alors qu’il a 100 ans) ?

Cette contradiction est relevée par de nombreux commentateurs de Rashi (le premier connu étant rabbi Eliezer ashkenazi un rabbin du 16ème siècle) pour répondre à cette question un auteur du 18ème siècle le rav Benyamin Danan cite le Zohar. Pour le Zohar, Abraham savait que les invités étaient des anges, mais du fait que les anges étaient venus sous l’apparence d’être humain, Abraham les a traités comme des êtres humains, pour respecter l’image que les anges voulaient donner d’eux même.

Comme les anges, l’être humain n’est pas défini par son aspect physique, l’intériorité humaine est invisible, mais Abraham nous apprend qu’il faut respecter l’image que l’autre nous renvoie de lui-même. Respecter l’autre c’est respecter son aspect extérieur. Comme les anges, l’homme est avant tout un acteur, mais c’est la où réside sa sainteté. L’humanisme d’Abraham consiste à rentrer dans le jeux de l’autre, à l’aider à jouer son rôle en lui donnant la réplique.

Lorsque les anges arrivent a Sodome les gens de Sodome demandent à Loth de leur montrer ses invités par ce qu’ils « veulent les connaitre. » Loth leur répond qu’il a deux filles vierges à leur présenter à la place de ses invités.

Cette réponse de Loth est tout à fait étrange, car à aucun moment les gens de Sodome n’ont dit explicitement qu’ils voulaient violer les invités de Loth.

Rashi est conscient de ce problème et il explique qu’il faut interpréter la « connaissance » dont parlent les gens de Sodome comme une connaissance sexuelle. Quoi qu’il en soit, il est très difficile de comprendre pourquoi les gens de Sodome utilisent un langage tellement châtié et détourné, pour exprimer leur désir, alors que d’un autre coté ils sont prêts à utiliser la violence pour enfoncer la porte de la maison de Loth.

Il est possible que la torah veuille nous montrer une symétrie entre la manière de connaitre l’autre chez Abraham et chez les gens de Sodome. Abraham respecte l’extériorité de l’autre et son image, il ne cherche pas à violer son intériorité, il joue la comédie de l’autre, alors que les gens de Sodome veulent connaitre l’intérieur de la personne. Violer une personne c’est avant tout ne pas respecter son image et son aspect. Les gens de Sodome cherchent à enfoncer la porte de Loth, ils violent son intimité, et ils cherchent aussi à violer les anges. Pour les gens de Sodome la connaissance de l’autre ne peut être qu’une intrusion dans sa vie intérieure.

Abraham est ouvert sur l’extérieur par ce que d’une certaine manière il sait que l’autre restera toujours étranger à lui, l’autre c’est toujours un comédien de passage. Alors que les gens de Sodome n’acceptent pas l’étrangeté de l’autre. Pour les sodomites, si un homme vient dans la ville il doit se conformer à l’unité de la ville, il devient un résident, si non il doit partir. La cause de la cruauté des gens de Sodome vient de leur rapport fusionnel à l’autre.

Ainsi l’homme n’est qu’une image, il n’est qu’un comédien. Cependant c’est dans cette comédie que réside l’importance de l’homme et son indépendance face à D. Cette idée peut paraitre aberrante ou nihiliste mais elle ne l’est pas car c’est dans l’étrangeté face à soi-même que réside la possibilité pour l’individu d’envisager la plénitude de la vie.

Abraham avait deux femmes Sarah et Hagar. Sarah se traduit par « la gouvernante », « celle qui domine », alors que Hagar cela veut dire « l’étrangère » celle qui réside temporairement. Le midrash dit que Sarah possédait un don prophétique supérieur à celui d’Abraham, pourtant D ne s’adresse jamais directement à Sarah comme il le fait avec Abraham ou Hagar.

Le Baal Haakedah (rabbin du 15ème siècle) explique que la prophétie de Sarah consistait dans sa compréhension du désir d’Abraham. Sarah comprenait le désir d’Abraham plus qu’Abraham lui-même. Abraham dit à D qu’il se serait contenté de Ishmael, mais Sarah lui explique qu’il se ment à lui-même et que profondément il désir un autre enfant. Sarah c’est la femme qui permet à Abraham de découvrir son véritable désir. Alors que Hagar personnifie pour Abraham le devoir moral. Le devoir moral implique la frustration de son ego. Hagar est une esclave. Hagar est « l’étrangère » par ce que le devoir moral implique un sentiment d’étrangeté face à son propre désir.

Le midrash explique que Sarah et Hagar n’étaient pas deux forces opposées, mais qu’au contraire elles étaient deux étapes d’un même chemin. (Yalkouth Chimoni, Leh Leha 80). Le midrash dit que si l’on vit l’étrangeté au carré, si on applique l’étrangeté à l’étrangeté elle-même, alors, on arrive à la royauté.

L’étranger c’est celui qui sent l’absurdité de la vie, à ce stade l’individu peut se noyer dans une nausée existentielle, cependant lorsque l’homme prend du recul face à cette étrangeté elle-même, alors il peut englober la totalité de l’existence, et comprendre la majesté qu’il y a dans l’humain.

L’homme est un comédien, mais c’est un comédien royal, plein de panache. Cette majesté de l’homme n’est pas factice elle est le rayonnement de l’existence elle-même.

Le talmud dans Chabath 113 dit « rabbi Yohanan appelait ses habits ceux qui l’honorent » ceci peut paraitre étrange, car on serait porté à croire que c’est l’homme qui honore ses habits plus que le contraire. Pourtant, rabbi Yohanan dit que même si l’homme se sent étranger à son corps, il est honoré par ses habits, et c’est en étant sensible au respect que lui renvoi son extériorité qu’il peut comprendre l’essence de la vie.

A travers une étude sociologique sur l’identité juive, Sarah Gibrat-Fainberg cherche à comprendre comment l’homme pourrait se libérer de l’aliénation aux modèles identitaires imposés par la société. Cette libération parait difficile, car même quand l’individu cherche à exprimer sa différence en se révoltant contre les conventions, il ne peut le faire qu’en fonction des valeurs de son entourage. L’individu serait condamné par la société à se reconnaitre en fonction de paramètres qu’il n’a pas choisis. L’homme devrait impérativement choisir un rôle parmi des scenarii qu’il n’a pas écrit. Dans cette étude (qui va paraitre aux éditions fayard) l’auteur conclu que c’est par l’ironie que l’homme peut se libérer du conditionnement social et retrouver une certaine liberté. Cette conclusion a été comprise par certains universitaires américains comme une adaptation des idées nihilistes de la pensée française post moderne. Je pense que l’on peut avoir une autre lecture de cette conclusion. L’ironie peut ouvrir l’accès au sens même de l’existence à condition que l’on adopte une posture ironique face à cette ironie. Il y a une majesté dans l’étrangeté et c’est dans cette majesté que l’homme ressemble à D.

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