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  • Writer's pictureRav Uriel Aviges

Chavouot II 5769

1- Le don de la torah est comparé à un mariage

a- Le mariage de D.

La dernière Mishna du traité de Taanith interprète un verset du Cantique des Cantiques. Le verset dit "venez voir, filles de Sion, la couronne du roi Salomon, la couronne dont l’a couronné sa mère, le jour de son mariage et le jour de la joie de son cœur". Le talmud explique que dans ce verset Salomon représente D, la mère de Salomon symbolise le peuple d’Israël, le jour de son mariage c’est le jour du don de la torah, et le jour de la joie de son cœur c’est le temps messianique. Nous voyons donc que le jour du don de la torah est décrit par le talmud comme le jour où D se marie.

Le premier problème qui se pose sur cette Mishna, c’est que la Mishna ne dit pas avec qui D se marie. Il parait peu probable de dire que D se marie avec le peuple d’Israël, puisque un homme ne peut pas se marier avec sa mère. L’idée même de la Mishna qui soutient que D qui se marie parait absurde, puisque nous savons que dans le judaïsme un des principes de la foi c’est que D est unique, or si D se marie avec quelqu’un d’autre cela voudrait dire qu’il n’est pas seul, ceci est inconcevable!

Le deuxième problème qui se pose sur la Mishna c’est qu’il faut comprendre en quoi le don de la torah est comparable à un mariage.

b- Le mariage du peuple d’Israël

Dans le traité de Chabath 88, le talmud semble à nouveau comparer le don de la torah à un mariage, mais dans ce passage c’est le peuple d’Israël qui se marie avec D.

En effet, Le talmud dans Chabath interprète un autre verset du Cantique des Cantiques qui dit "tu m’as capturé ma fiancée chérie, tu m’as capturé avec un seul de tes yeux". Le talmud interprète que la fiancée c’est le peuple d’Israël qui était prêt à recevoir la torah, car en voulant recevoir la torah les juifs ont capturé D et l’ont séduit. Mais les juifs ont séduit D "avec un seul œil", parce que bien que les juifs aient accepté la torah, ils ne l’ont pas appliquée, puisqu’ils ont fait le veau d’or juste après, ils n’ont jamais donne le deuxième œil à D.

Le talmud conclue son interprétation du verset en disant "comme elle est piteuse cette fiancée qui trompe son mari alors qu’elle est encore sous la houppa".

Ce passage du talmud de Chabath semble contredire la Mishna dans Taanith que nous avons citée plus haut, puisque dans Taanith le peuple d’Israël est comparé à la mère du marié, alors qu’ici le peuple d’Israël semble être la fiancée de D.

De plus, ce passage du traité de Chabath est énigmatique car il reste très difficile d’envisager D se mariant, même avec l’assemblée d’Israël. Quel sens peut avoir la parabole d’un tel mariage?

Dans la ketoubah que les juifs séfarades lisent à Chavouot avant la lecture de la torah, on nous décrit encore un autre mariage. Dans cette "ketoubah" c’est le peuple d’Israël qui se marie avec la torah. Comment tous ces textes anciens peuvent ils être mis en accord?

2- Le paradoxe implicite qu’il y a dans un mariage

La première alliance que D a fait avec le peuple d’Israël, c’est l’alliance "d’entre les morceaux". Cette alliance a été faite par D sur la demande d’Avraham. Avraham avait demandé explicitement à D de faire une alliance avec lui. Avraham voulait que D lui assure, par un pacte, que c’est sa descendance qui prendrait possession de la terre d’Israël. Cette demande est jugée par la torah comme un manque de confiance de la part d’Avraham. La torah pense que si on fait véritablement confiance à quelqu’un on n’a pas besoin de preuve ou de serment pour le croire. Vouloir faire une alliance avec quelqu’un c’est d’une certaine manière une preuve que l’on ne fait pas entièrement confiance à son partenaire.

On retrouve cette idée au sujet du don de la torah, dans le Deutéronome 5, lorsque la torah nous fait le récit du don de la torah le verset dit "D dit : « comme j’aime les paroles (des enfants d’Israël), comme j’aurais aimé qu’ils gardent ce même sentiment toute leur vie! Et qu’ils me respectent toute leur existence, pour que je puisse les combler de bénédictions tous les jours de l’histoire » ".

Ce verset montre bien que D savait, au moment même où il donne la torah aux enfants d’Israël, que les juifs n’allaient pas garder ce sentiment de respect toute leur vie. Il semble que c’est justement pour cela que D voulait faire une alliance avec les juifs.

Dans un mariage ou une alliance on retrouve toujours un paradoxe implicite. Si les partenaires se font vraiment confiance, et qu’ils pensent vraiment qu’ils vont s’aimer toute leur vie, alors pourquoi ont-ils besoin de se marier et de faire une alliance? Le fait même de faire une alliance montre bien que le couple ne pense pas que le sentiment présent sera eternel.

Cependant, il est évident que si on ne fait pas confiance à quelqu’un on ne peut pas faire une alliance avec lui. Pour s’engager il faut faire confiance à l’autre et penser que l’autre aussi va respecter ses engagements, on se retrouve donc ici devant un paradoxe.

Ceci dit, il devient difficile de comprendre pourquoi la torah fait une différence de jugement entre l’alliance faite à Avraham "entre les morceaux" et l’alliance faite lors du don de la torah. Le talmud critique l’alliance que D fait a Avraham, parce que cette alliance montre qu’Avraham manque de confiance en D. Le talmud va même jusqu’à dire que les juifs vont être condamné à aller en exile en Egypte pendant 400 ans, pour punir Avraham d’avoir demandé ce pacte.

Mais d’un autre côté, le talmud pense que le don de la torah, qui est aussi un pacte passé avec D, c’est au contraire le jour du mariage de D, le jour de la joie de son cœur. Pourquoi le talmud envisage-t-il de manière si opposée deux pactes presque similaires entre Israël et D? Pourtant l’hypocrisie des juifs lors du don de la torah parait beaucoup plus grave, que le manque de confiance d’Avraham lorsqu’il demande une promesse.

3- Chavouot: la justification de la matérialité et des désirs de l’homme

La torah compare les juifs qui sortent d’Egypte à une fiancée, le verset dit "je me souviens de la bonté de ta jeunesse, de l’amour de tes fiançailles lorsque tu m’as suivi dans le désert". Entre les fiançailles de la sortie d’Egypte et le mariage du don de la torah, il y a 49 jours que l’on doit compter un à un.

Pendant les 49 jours du Omer les juifs se transforment, ils passent de l’état d’animaux (offrande d’orge) à l’état d’êtres humains (offrande de pain).

Le Zohar et le talmud (Berahot 17) pensent que le hametz symbolise le mauvais penchant. C’est ce qui explique que tous les sacrifices de l’année ne devaient contenir aucun hametz.

C’est aussi de cette manière que l’on explique l’interdit de consommer du hametz a pessah, car a pessah il fallait que les juifs sortent de la matérialité et du mauvais penchant pour entrer dans une quête de spiritualité qui aboutira avec le don de la torah.

Cependant paradoxalement il n’y a qu’à Chavouoth où il y avait du hametz, (du pain levé) dans une offrande faite à D. Le Zohar et le talmud expliquent que cette offrande de pain montre que le jour du don de la torah, on justifie l’existence du mauvais penchant, car la torah ne peut pas exister sans le mauvais penchant.

C’est ce que le talmud dit dans Chabath 89, si il n’y a pas de désir sexuel, l’interdit sexuel n’a pas de sens, si on n’a pas de parent on ne peut pas les honorer, etc.

A Chavouot, la matérialité prédomine sur la spiritualité, c’est pour cela que le talmud pense qu’à Chavouot, on est obligé de manger et de boire et qu’on ne peut pas s’acquitter de son devoir de se réjouir dans la fête par l’étude de la torah.

A Chavouot, le cinquantième jour, les juifs arrêtent de se transformer, ils arrêtent de chercher la spiritualité, et ils s’acceptent tels qu’ils sont.

A priori, cet arrêt dans l’ascension spirituelle devrait être vu comme une chute pour les juifs, pourtant la torah nous dit que c’est à travers cet arrêt qu’ils se marient avec D. Comment est ce possible?

4- Entre les fiançailles et le mariage il y a le temps

Pour comprendre ce paradoxe, il est éclairant d’analyser le parallèle que la bible fait entre des phases de relations dans les couples et les phases de la relation avec D. Il semble que la bible identifie deux moments, celui des fiançailles, Pessah, et celui du mariage Chavouot.

Il y a une différence fondamentale entre un couple fiancé, et un couple marié. Dans la période des fiançailles l’amour va en crescendo, les fiancées s’identifient à l’image qu’ils se font l’un de l’autre. Lorsque l’on a la foi en quelqu’un on ne peut pas le voir tel qu’il est vraiment, on lui donne un visage, on l’identifie à quelqu’un et en retour on s'identifie soi même à une image qu’il se fait de nous, ou que l’on se fait de soi même. Avoir la foi et faire confiance, c’est donner un masque à l’autre et en porter un soi même.

Dans le couple de fiancés il y a comme un cercle vertueux qui se fait dans un jeu de miroir où chacun sacrifie une partie de lui même pour se conformer à une image ou à un idéal.

Dans le couple marié au contraire on arrête de faire confiance et d’avoir la foi en l’autre. On décide d’accepter son partenaire tel qu’il est, lorsque l’on accepte le partenaire tel qu’il est, ce partenaire devient capable de s’accepter lui même tel qu’il est et il arrête de progresser.

Avoir un idéal, ou avoir la foi dans un futur c’est se sentir partiellement coupable d’exister, c’est penser qu’il y a une partie de nous qui est mauvaise et qui doit être éradiquée. C’est ce rapport dynamique, le rapport des fiancés, qui décrit le rapport des juifs avec D à Pessah et pendant la période du Omer.

Ce n’est que lorsque quelqu’un se marie et qu’il se trouve accepté dans sa réalité profonde par l’autre, qu’il devient lui même capable de s’accepter tel qu’il est.

Lorsqu’un homme se marie il ne se marie pas simplement avec l’autre, il devient capable de se marier avec les différentes parties de lui même, en les acceptant.

5- Se marier à l’autre c’est aussi se marier avec soi même

C’est pour cela que la Mishna de Taanith parle du mariage de D lorsqu’il donne la torah, c’est pour nous apprendre que le mariage est aussi un état dans la relation de l’homme à lui même.

Pour reprendre la parallèle que la torah fait entre le couple et le rapport à D, on comprend que lorsque l’on fait confiance à D on lui donne un visage, d’une certaine manière on identifie D à une image.

Par exemple, si j’ai confiance en D et je me dis qu’il est certain qu’il va me donner un million de dollars, je donne une image de générosité à D, je me dis que D fait le bien et que le bien c’est de donner de l’argent. En retour, après avoir donné une image à D, je me dis que pour mériter le million de dollar il faut que je fasse tel ou tel mitswah, je crée moi aussi une image idéal de moi même à laquelle je dois me conformer.

Tout rapport de confiance passe par l’identification de l’autre à un rôle ou à un idéal, et implique l’identification de soi même à une image complémentaire.

Le mariage et l’alliance, c’est lorsque l’on arrête de faire confiance et que l’on décide d’arrêter de changer. Plus quelqu’un s’accepte lui même, et accepte l’autre comme il est, plus il est marié, moins un homme s’accepte tel qu’il est, et moins il accepte l’autre, moins il est marié.

La torah pense que les deux types de rapport avec D sont souhaitables, il y a le temps de la foi et du mouvement dynamique vers le haut (Pessah, le Omer, la prière) et il y a le moment de l’étude, où on accepte sa matérialité (Chavouot) en la mettant en dialogue avec l’esprit.

Mais ce qui est primordiale c’est qu’il y ait un temps entre les deux mouvements pour qu’ils ne se confondent pas.

Si l'alliance "d'entre les morceaux" est condamnée par le talmud, c'est parce qu'Avraham donne un but à son alliance, il veut à tout prix que D lui donne la terre d'Israël, or une alliance avec D doit toujours être l'acceptation de l'Autre tel qu'il est.

6- L’étude de la torah c’est le dialogue entre la vérité inaltérable de son corps et l’éternité des abstractions de la torah

Ce que la torah veut nous montrer avec le compte du Omer c’est que lorsque l’on étudie la torah il ne faut pas avoir la foi, c’est à dire qu’il ne faut pas venir avec un visage préétabli du message de D, ni avec une volonté de transformer le rapport a son corps.

Celui qui vient avec la volonté de se transcender et de se dépasser à travers l’étude est condamne à tourner en rond.

Il faut au contraire, pour étudier la torah, mettre en opposition deux vérités absolues inaltérables, la première c’est la réalité de son corps, de ses désirs et de ses besoins, la deuxième c’est la spiritualité pure des commandements de la torah.

Ces deux vérités doivent s’accepter telles qu’elles sont, et c’est à travers cette acceptation mutuelle qu’elles peuvent créer un dialogue infini. Ce dialogue infini entre le corps dans sa réalité conjoncturelle, et les concepts éternels de la torah, c’est l’étude de la torah.

Mon rav avait l’habitude de dire que pour choisir un sujet à étudier il faut regarder quelle expérience sentimentale marquante on a eu dernièrement, et essayer de voir comment elle peut être définie et appréhender dans les mitswoth de la torah.

En faisant cela l’homme peut être capable de voir plus clair en lui même, tout en renouvelant le message de la torah.

Le Maharal dit que c’est à travers le rapport à son corps que l’homme peut avoir un message universel, car tout le monde appréhende son corps de la même manière, alors que le rapport au concept est très difficilement communicable. C’est le sens des métaphores du talmud, et c’est dans ce sens qu’il faut étudier la torah à partir de situations existentielles.

7- Le fait de ne pas donner de visage à D et de ne rien espérer de lui, peut être le plus haut niveau de foi.

Ne pas espérer quoi que ce soit de D, et s’accepter soi même tel que l’on est, peut être le plus haut niveau de emounah. Puisqu’il n'y a qu’à ce stade ou l’on accepte D comme une réalité inaltérable et qu’on ne lui donne pas de visage. Il se trouve donc que la raison est le plus haut niveau de transcendance.

La raison ce n’est pas la négation de l’être, au contraire la raison c’est l’acceptation pleine et entière de soi et de sa réalité.

Les philosophes existentiels ont confondu "la foi en la raison" et "la raison". C’est la foi en la raison qui a créé le fascisme, pas la raison.

La torah en mettant en opposition Pessah et Chavouot, veut montrer clairement que le progrès n’est pas une résultante de la raison. Le progrès est lie à Pessah à la foi, alors que la torah n’a de sens que dans l’acceptation statique de soi, et le refus du progrès.

Le progrès est une résultante de la foi. Si on pense que la raison doit apporter le progrès, alors la raison devient une négation de l’être.

Je vous souhaite à tous une bonne fête de Chavouoth et un heureux mariage,

Uriel

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