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  • Writer's pictureRav Uriel Aviges

Bo 5769

(Uniquement la version audio du chiour est disponible)


être et temps


1- La mitsvah de sanctifier le nouveau mois, une maitrise du temps

La première mitswah qui est donnée au peuple d’Israël, c’est la mitswah de sanctifier le nouveau mois. “D dit à Moshé ce mois est pour vous le premier mois parmi les mois de l’année”. Manitou “zichrono livraha” et ses élèves, les intellectuels juifs français “chlitah”, interprètent cette mitswah, dans le sens où D commande à Moshé de créer son propre calendrier pour devenir maitre de son temps, puisque la libération c’est d’abord l’appropriation de son temps (Heidegger). La première étape d’une révolution c’est l’établissement d’un nouveau calendrier (révolution française, christianisme, islam etc..).

2- Pour Maimonide la torah veut récupérer des cultes païens

Maimonide “zihrono livraha”, par contre, semble proposer une interprétation diamétralement opposée à celle de Manitou, en effet dans le Guide des Egarés Maimonide dit (livre 3 chap. 46) “ j’a voulu m’attarder à expliquer quelque chose de très étonnant, qui est l’exception que l’on retrouve dans la torah en ce qui concerne le sacrifice expiatoire de Roch Hodech (le jour du nouveau mois), où la torah dit “cela sera une expiation pour D” or les sacrifices expiatoires ou pacificateurs ne sont jamais appelés des sacrifices pour D dans la torah, puisque une partie de ces sacrifices est consommée par les prêtres ou par les propriétaires du sacrifice, (comment comprendre donc cette expression de la torah au sujet du sacrifice du nouveau mois?)” Maimonide répond que selon lui, les égyptiens, eux aussi fêtaient le Roch Hodech et le nouveau mois; “les égyptiens eux aussi apportaient des sacrifices comparables à ceux commandés par la torah, le jour de Roch Hodech,”, “simplement, les égyptiens apportaient le sacrifice à la lune elle même, ce qui est de l’idolâtrie”. “C’est pour cela que D a besoin de spécifier que les sacrifice de Roch Hodech doivent être adressés à D spécifiquement et non pas à la lune”.

On comprend bien que selon Maimonide la mitswah de sanctifier le nouveau mois, qui est la première mitswah de la torah, n’est pas une rupture avec le passé égyptien, mais au contraire une continuation, une récupération de son passé, une réinterprétation de la culture ambiante dans la torah.

Le nouveau mois symbolise le renouveau d’Israël, la bénédiction que nous faisons lorsque nous voyons la nouvelle lune dit “que le renouveau de la lune est le signe du renouveau d’Israël”.

La torah veut nous dire que le renouveau d’Israël n’est possible que si il est basé sur la culture païenne de l’époque.

3- Le calendrier juif se veut une continuation du calendrier égyptien selon Maimonide

Si on recoupe ce passage du Guide des Egarés avec un autre passage de Maimonide dans les lois du sacrifice pascal, on voit que Maimonide voulait même aller plus loin. Dans les lois du sacrifice pascal Maimonide explique que le premier mois de l’année pour les égyptiens c’était le mois de Nissan, le mois du mazal de l’agneau, “guedi”. Il dit aussi que c’est pour cela que D a demandé de manger l’agneau pascal aux hébreux pour qu’ils montrent aux égyptiens qu’ils n’avaient pas peur de manger le mazal idolâtré par les égyptiens. Il ressort de Maimonide que la mitswah de compter le mois de Nissan comme le premier mois de l’année, ce n’était pas une rupture avec le calendrier égyptiens, mais une continuation et une récupération, et une incorporation du calendrier égyptiens.

Il est intéressant de noter, qu’à ma connaissance ces deux passages cités, sont les deux seuls écrits de Maimonide, à propos desquels, même les plus grands érudits non pas encore réussi à trouver une source dans les écrits rabbinique antérieure (tannaïm ou amoraim). (Maharats hayoth chavuot 9 a).

4- Roch Hodech la fête qui détermine l’identité sexuelle des hommes et des femmes.

Le midrash nous dit qu’au départ le jour de Roch Hodech était un jour de fête uniquement réservé aux hommes, pour les femmes, le nouveau mois n’était pas une fête (je suis ici l’interprétation du midrash faite par le Beth Yossef dans les lois de Roch Hodech, et celle du Levouch). Mais après la faute du veau d’or, la loi a été inversée et D a dit qu’au contraire, la fête de Roch Hodech serait une fête uniquement réservée aux femmes et pas aux hommes.

Pourquoi se revirement? Le “Pirkei Derabi Eliezer” explique que lorsque Aaron avait demandé de l’or pour faire le veau d’or, il avait demandé de recevoir l’or des bijoux des femmes, (comme le verset le dit explicitement). Aaron se disait: “les femmes n’accepterons jamais de donner leurs bijoux pour faire une idole!”. Le calcul d’Aaron s’était avéré exacte. La torah nous dit que ce sont les hommes qui ont donné leurs propres bijoux et leurs boucles d’oreille à Aaron pour faire le veau d’or. Le midrash dit que les femmes avaient refusé en disant “pourquoi va-t-on donner ses bijoux pour faire une abomination complètement inutile!”

Pour récompenser les femmes, de ne pas avoir participé à la faute du veau d’or, “D a donné dans ce monde la fête de Roch Hodech aux femmes, et dans le monde futur il va faire que les femmes vont ressusciter dans leurs jeunesses et pas dans leurs vieillesses.” (Contrairement aux hommes qui vont ressusciter à l’âge qu’ils avaient quand ils sont morts.)

5- Les bijoux masculins sont une cause d’idolâtrie dans la bible

Le Pirkei Derabi Eliezer note que l’on ne retrouve jamais dans la bible des hommes juifs portant des bijoux. Ce même midrash cite même le livre des Juges dans le chapitre 8 ou le verset semble explicitement dire que seul les hommes égyptiens, et les enfants d’Ishmaël portaient des bijoux, mais pas les juifs. Or, dans ce passage des Juges, la bible nous raconte que les juifs ont pris toutes les boucles d’oreille des 135 000 non juifs qu’ils avaient tués, et qu’ils ont fait avec ces 270 000 boucles d’oreille, une sorte de ceinture “Efod” en or pour commémorer le miracle que D avait fait en libérant les juifs de la domination des adorateurs du baal (grâce à Gédéon). Mais par la suite, ce “Efod” va devenir l’objet lui même d’un culte idolâtre. Là encore on se rend compte que la bijouterie masculine amène l’idolâtrie.

Il est amusant de remarquer qu’en ce qui concerne le veau d’or et la ceinture de Gédéon, la torah commande de les bruler et de les rejeter en les comparant à des femmes nidah (talmud de Jérusalem Chabath chap. 9). Je pense revenir à cela tout à l’heure.

Le Pirkei Derabi Eliezer semble dire qu’il y avait une partie de la culture égyptienne (le fait de porter des boucles d’oreille pour les hommes, et de s’habiller à l’égyptienne) que les juifs devaient rejeter, si il ne voulait pas revenir à l’idolâtrie.

6- Le rapport à la culture égyptienne est dialectique, et c’est à travers ce rapport que l’identité sexuelle semble se définir chez les juifs.

Il semble donc que dans Roch Hodech il y avait un rapport dialectique à la culture égyptienne, d’un coté les juifs doivent garder des rites égyptiens si ils veulent un futur.

C’est même à partir de ces rites égyptiens que l’on va constituer l’ossature de l’identité nationale juive, puisque les 12 tributs d’Israël correspondent aux 12 mazalots et aux douze mois lunaires, (tur dans les lois de Roch Hodech), 12 mazaloth et douze mois lunaire qui sont selon Maimonide des notions qui sont empruntées à la civilisation égyptienne.

Mais d’un autre cote, on nous dit que les juifs doivent rejeter l’habillement et les bijoux égyptiens, sous peine de devenir idolâtres. Mais attention! Seulement les males!, car pour les femmes au contraire la mode égyptienne, devient la cause de la rédemption, c’est l’amour des bijoux égyptiens qui sauve les femmes de l’idolâtrie et qui permet aux femmes le renouveau dans le monde futur. Qu’est ce que cela veut dire?

Ce qui est étonnant c’est que l’on aurait pensé que le fait de s’habiller à la mode égyptienne est quelque chose de plus récupérable pour le judaïsme, que le fait de faire des sacrifices lors du renouveau de la lune. C’est étonnant, car les bijoux masculins ne semblent pas contenir de trace d’idolâtrie, alors que les sacrifices de Roch Hodech ont un contenu presque explicitement idolâtre, alors pourquoi la torah a-t-elle préféré conserver les sacrifices de Roch Hodech et pourquoi condamne-t-elle les bijoux égyptiens comme étant la cause de l’idolâtrie?

Il semble que le midrash veut montrer que le rapport au renouveau est essentiellement différent chez l’homme et chez la femme, pour l’homme l’identification à une image est une momification, c’est un rapport statique, alors que chez la femme, l’identification à une image crée un mouvement dynamique de renouveau.

7- La torah veut condamner le narcissisme masculin.

La torah pense que le narcissisme de l’homme est condamnable par ce qu’il ferme l’homme au renouveau. C’est pour cela que les Tosfot dans Avodah Zarah 29b disent (en rapportant le talmud de Jérusalem,) qu’il est interdit pour un homme de se regarder dans un miroir, par ce qu’il transgresserait l’interdit qu’à “un homme de s’habiller comme une femme.”

Si l’homme s’identifie à une image il devient incapable de se développer et de s’ouvrir au futur. Les bijoux et la mode égyptienne symbolisent l’identification à un model ou à une image qui personnifie l’homme égyptien.

Si le juif s’identifie à cette image il devient incapable de progrès, pour l’homme le narcissisme est une haine de soi même. L’homme narcissique ne s’aime pas, car il n’aime que son image et son model.

Pour l’homme, l’image dans laquelle il projette son identité devient une idolâtrie. C’est à dire qu’au lieu de s’exprimer lui même et de s’ouvrir au renouveau en vivant pleinement le présent, l’homme va être tenté de se momifier en s’identifiant à une image fixe qu’il va chercher à copier infiniment. Cette identification va le pousser à répéter le même comportement à l’infini en le vidant de toute substance et de toute intériorité. Le model identitaire devient vite pour l’homme un étalon universel de valeur indépassable.

8- L’homme cherche à s’identifier à un model et à l’idolâtrer pour se repérer dans le temps

La nécessité qu’à l’homme à trouver un model identitaire vient de sa difficulté à se repérer dans le temps. Georges Perec avait l’habitude de dire, que l’on voit souvent des gens se promener avec des montres, mais on voit rarement des gens marcher avec des boussoles, il en déduisait que l’homme se repère beaucoup plus facilement dans l’espace que dans le temps.

L’homme vie constamment comme un traumatisme le passage silencieux du temps. Il y a un vertige inhérent à la conscience de l’homme, qui vient de sa difficulté à sentir et à appréhender le passage du temps. Pour vaincre ce vertige, l’homme peut se sentir forcé à chercher des repères fixes et immuables, à fuir le renouveau et à planifier le futur.

L’homme ne peut se renouveler vraiment et vaincre le traumatisme qu’est pour lui le passage du temps, que si il se repère dans le temps à travers l’action, car c’est à travers le rythme des actions que l’homme peut se repérer dans le temps sans pour autant se figer dans la fixité.

9- Les mitswoth qui dépendent du temps sont données à l’homme pour lui donner un repère dans le temps et lui permettre de se libérer et de se renouveler

Si la torah a commandé à l’homme tant de mitswoth qui sanctionne le passage du temps, c’est par ce que sans ces mitswoth l’homme aurait tendance à ne pas pouvoir se repérer dans le temps, le vertige du temps qui passe est déstabilisant pour l’homme.

Pour échapper à ce vertige de la non conscience du temps, l’homme peut avoir tendance à se momifier et à chercher un repère stabilisateur dans l’identification à une image immuable et fixe, à une action planifiée et contrôlée. C’est ça l’idolâtrie.

La torah en donnant à l’homme les mitswoth qui dépendent du temps, veut donner à l’homme une conscience du passage du temps, un repère qui lui permette de sentir le temps qui passe, et qui le libère de la nécessité de l’identification à une image fixe, ou à un plan prévu d’avance.

C’est en ce sens que les sacrifices de Roch Hodech, (même si ils sont des reprises d’un culte idolâtres,) permettent une libération et un renouveau pour le juif, parce que ces sacrifices posent un repère dans le temps.

C’est le sens de la récupération du sacrifice du nouveau mois de la culture égyptienne. Le talmud dans Hulin ~60 semble dire qu’il n’aurait pas été nécessaire pour les juifs de baser le calendrier sur les mois lunaires, les juifs auraient pu calculer les années en comptants les semaines et les chabatoth, mais la torah a voulu que les juifs récupèrent quelque chose de leur passé égyptien, pour qu’ils gardent un repère dans le temps, c’est à dire le compte des mois.

10- La conscience du temps pour l’homme c’est la conscience d’un rythme

Pour l’homme le renouveau et le contrôle sur le temps ne viennent pas de la rupture d’avec le passé, ni par une programmation inaltérable dans le futur, mais ils viennent par la récupération et la réinterprétation d’une action du passé, qui permet de rythmer le temps.

C’est ce rythme de l’action qui permet à l’homme d’appréhender le présent. Le verbe “être” au présent n’existe pas en hébreux pour l’humain, le présent ne peut exister chez l’homme qu’à travers l’action. Cela peut paraitre étonnant, car dans l’action l’homme perd conscience du temps, c’est vrai! Mais la conscience du temps vient à travers le rythme qui espace les actions. (Si Heidegger s’est tellement intéressé à Lacoue-Labarthe et à Nancy, à la fin de sa vie, c’est par ce qu’il avait ressenti que la solution du problème de la temporalité chez l’homme réside dans le rapport au rythme et à la musique).

11- La temporalité et la femme

Le midrash semble dire que la femme au contraire de l’homme ressent le temps qui passe. C’est pour cela que pour elle s’identifier à une image fixe est ce qui peut apporter le renouveau. Le narcissisme chez la femme est vu comme quelque chose de salvateur, qui permet aux femmes de prendre le contrôle sur elles mêmes et de ne pas se laisser emporter par le passage du temps.

Le midrash cité (de pirkei derabi Eliezer) est rapporté avec une variante en ce qui concerne le renouveau des femmes et de leurs jeunesses dans le monde futur. Le Levouch dit en effet que les femmes obtiendront grâce à l’amour de leurs bijoux, “la jeunesse éternelle comme Yocheved”.

Or on sait que Yocheved, la mère de Moshé est née entre les murailles. Certains commentateurs expliquent que la symbolique de cette naissance entre les murailles qui amène la jeunesse éternelle de Yocheved, exprime le fait que Yocheved était à cheval entre deux périodes, elle n’était pas tout à fait de la génération de l’Egypte, mais elle n’était pas non plus de la génération des patriarches, c’est pour cela qu’elle pouvait faire venir la délivrance. Car la délivrance et le renouveau viennent toujours d’une continuation du passé, qui s’associe avec le changement du futur, elle vient de ceux qui sont à la charnière, dans la position du seuil “yoshvei shaar”, ceux qui naissent entre les murailles. Cette notion de temps en mouvement vécu comme une durée est l’expression de l’expérience du temps chez les femmes pour le midrash.

12- La dialectique du temps décomposé, Zénon d’Elée et Bergson.

Zénon d’Elée pouvait démontrer qu’une flèche ne pourrait jamais rattraper une tortue, par ce qu’il fallait que la flèche parcourt d’abord la moitie de la distance avant d’atteindre son but, et le temps que la flèche parcours la moitie de la distance, la tortue aurait avance et se serait éloignée de la flèche. Puisque l’on peut décomposer le mouvement à l’infini par la pensée et l’abstraction, on peut arriver à montrer que la flèche ne touchera jamais la tortue.

Bergson avait utilisé ce discours de Zénon pour démontrer par l’absurde que le mouvement et le temps dans la réalité et dans la perception humaine ne sont pas décomposables.

Il n’y a pas de moment où la flèche reste suspendu hors du mouvement, dans l’inertie, la flèche est constamment en mouvement, c’est pour cela que la flèche atteindra un jour la tortue. La décomposition du mouvement de la flèche que fait Zénon en y imaginant des moments d’arrêt est une erreur qui fausse le raisonnement.

Pour Bergson l’homme perçoit le temps comme une durée, comme un mouvement continu.

Avant Bergson, on pensait que Zénon se trompait par ce qu’il ne faisait pas entrer la variable du temps dans son raisonnement. Je pense que le fait qu’il ait fallu autant de siècles pour que quelqu’un pense (Bergson) que l’homme perçoit le temps comme une durée, remet sérieusement en doute cette affirmation. (J’ai vu aussi que Quentin Meillassoux schlitta - sans le savoir à mon avis- semble penser que la construction de la perception du temps chez l’homme n’est que le fruit d’une construction abstraite, non spontanée.)

A mon avis, selon le midrash, la perception du temps chez l’homme n’est pas une perception de la durée, c’est une perception fragmentaire, ou plutôt, la sensation d’une fuite vertigineuse, la vision fragmentaire du temps de Zénon d’Elée, n’est qu’une création de l’esprit pour palier à la sensation inexistante chez l’homme du temps qui passe. Pour le midrash seul les femmes possèdent la perception bergsonienne de la durée.

Questions d'un lecteur et réponses du Rav :

Merci pour tes questions très bonnes qui me permettent de clarifier ma pensée. Je vais répondre du mieux que je peux dans le désordre, je vais commence par aborder cette question :

"Pour l’homme le renouveau et le contrôle sur le temps ne viennent pas de la rupture d’avec le passé, ni par une programmation inaltérable dans le futur, mais ils viennent par la récupération et la réinterprétation d’une action du passé, qui permet de rythmer le temps." Est ce que tu peux étayer la dessus, d'ou ca sort? Est ce qu'il y a un exemple qui montre ca? J'ai l'impression que tu dis ça a fortiori parce que ca serait le seul moyen de justifier Roch Hodech"

Tu as tout a fait raison de dire que "je dis cette idée a fortiori" par ce que cela m'a paru la manière la plus juste d'expliquer les midrashim qui parle de Roch hodech. En fait cette manière de réfléchir "a fortiori" c'est ma manière de réfléchir et d'envisager le midrash et les mitswoth de la torah. Cette manière de réfléchir "a fortiori" à l'avantage de permettre de dégager quelque chose de nouveau à partir du midrash, d'ouvrir de nouveaux horizons, elle donne à la lecture du midrash la possibilité de nous éclairer sur une situation existentielle d'une manière nouvelle.

Si on ne réfléchit pas "a fortiori", si on n’accepte pas le midrash ou la mitswah comme base inconditionnelle de réflexion, on risque au contraire de ne pas progresser dans sa manière de réfléchir. On risque de projeter toujours ses propres problématiques dans la torah, ce qui entraine premièrement une lecture partiale du midrash qui serait uniquement relative à sa culture et à son histoire, dans cette optique on s'éloigne de la lecture littérale du texte, et de sa logique interne, pour essayer de lui faire dire ce que l'on pense déjà.

 De plus, si on ne réfléchit pas a fortiori, on risque une sclérose de la pensée, on ne ferait que faire répéter au texte ce qu’on a lu ailleurs. Cette méthode d'analyse et de lecture que je rejette est la méthode d'analyse et de lecture de l'université française. C’est pour cela que j'ai du mal à discuter avec les intellectuels français.

Ma manière d'étudier la torah en ce qui concerne le midrash a pour but de lier deux pôles, le premier pôle est le sens littéral du texte et la logique interne du midrash que j'essaie de trahir le moins possible, et d'élaborer le plus possible. Le deuxième pôle est la réalité existentielle de la vie moderne.

Plus j'arrive à donner de la chair et de la consistance à l'idée du midrash, et à lui trouver une implication morale, et une réalité, tout en restant fidèle à la logique interne du texte en le trahissant le moins possible, plus j'estime mon travail réussi. Par contre plus l'idée qui sort du midrash reste étrangère à la réalité, et manque de chair, ou plus la logique du midrash est trahie, moins je trouve mon travail abouti. Lorsque je vois que la réalité existentielle ne correspond pas à la lecture du midrash j'élabore et j'analyse du mieux que je peux la réalité existentielle pour essayer de comprendre d'où vient la faille, pour voir quelle lumière nouvelle on peut tirer du midrash. 

Par exemple lorsque tu dis "Est ce qu'on ne peut pas plutôt envisager Roch Hodech comme une concession de D? De la même manière que D demande un Bet Hamikdash ou des sacrifices par ce que les hommes ont besoin de rituel et de choses palpables pour se rapprocher de D [ca parait plutôt païen d'assigner l'Omnipotent à résidence ou de lui donner à manger!]"

Je te réponds: "c'est sur que l'on peut dire ça!", mais c'est une solution de facilité, on ne va rien apprendre de nouveau sur nous même si on dit ça. C’est comme si je dis "Maimonide s'est trompé dans son interprétation de Roch hodech", c'est sur qu'on peut le dire, mais en disant cela on n'étudie pas la torah on énonce des axiomes ou des pensées arrêtées.  Il y a des richonim (Maimonide) qui pensent que le temple et les sacrifices étaient une concession à l'idolâtrie. D’autres richonim s'opposent à cette idée et ils (Nahmanide, rabbi Yehudah Halévy) pensent qu'il n'est pas logique de penser que D aurait fait des concessions dans la torah à l'idolâtrie. Si D avait fait des concessions pourquoi aurait-il fait des concessions uniquement sur ces mitswoth? Et pas sur les interdits sexuels, ou le prêt à intérêt par exemple, ou chabath! De plus la torah est éternelle elle doit donc être une loi parfaite qui s'applique à toutes les générations, puisqu'elle est immuable, il est donc difficile de penser qu'il y aurait à l'intérieur de la torah des concessions qui soit relative à une époque donnée. L’étude de la torah consisterait d'essayer de répondre à ces questions pour rétablir la logique de Maimonide qui pense que les sacrifices sont une concession, mais si on utilise cette idée de concession pour expliquer Roch Hodech on ne peut pas dire que l'on étudie la torah par ce que l'on bloque la réflexion sans l'ouvrir.

Pour revenir maintenant sur la notion du temps que j'ai voulu éclaircir dans le mail, j'ai voulu m'opposer à la vison de Heidegger dans "être et temps" qui dit en substance que le rapport au temps pour l'homme c'est un rapport de contrôle et de prévision, si je peux prévoir mon temps et que je peux le maitriser, alors je suis libre, et je suis dans l'être. Il y a quelque chose de fascisant dans cette manière de voir les choses. Je pense aussi à la lumière du midrash que cette volonté de se plier à une discipline, est une manière de cultiver son image, "de porter des bijoux " et que c'est un enfermement pour l'homme, qui se ferme dans un tel comportement au renouveau et à "l'être" véritable. L’"être" serait pour moi l'ouverture à un imprévu. J’ai voulu analyser ce qui était à l’ origine de cette pensée d'Heidegger, et j'ai pensé que cette volonté d’enfermement maladif dans un plan que l'on domine vient d'une difficulté pour l'homme à se repérer dans le temps. J'ai voulu montrer que pour palier à cette difficulté de repérage qu'a l'homme qui peut l'amener au fascisme, la torah a prévu tout un tas de mitswoth qui permettent par le rythme de se repérer dans le temps et qui permettent du même coup le renouveau.

 Roch Hodech c'est le constat d'un cycle naturel répétitif et en même temps la possibilité d'un renouveau, "hadach" veut dire nouveau et mois en même temps. Plus on se repère dans le temps plus on s'ouvre à la liberté du renouveau. 

En ce qui concerne la continuation avec l'Egypte, je pense que premièrement la torah ne peut s'appliquer qu'en réaction à une culture existante préalablement. "Goy mikerev goy", le judaïsme est une manière d'être un peuple à l'intérieur d'un autre peuple. (Chiourim précédents)

Dans ce chiour j'ai voulu interpréter ce phénomène en disant que le marquage dans le temps nécessite une continuité avec le passe et pas une rupture pour s'inscrire dans la durée. Si on ne gardait rien du passé non juif, ou non monothéiste, et que l'on considère le judaïsme comme venu de nulle part, on en ferait un fascisme, une image stable, immuable "un bijoux masculin", seul le rapport au passé peut permettre de marquer le passage du temps et donc de s'ouvrir au renouveau du futur.

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